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légère et des sources de son opulence ? Les apparences n’étaient-elles pas acceptées pour la réalité ? S’éloignait-on du marquis de la Haie, et lui-même désirait-il faire oublier ses flatteuses aventures de jeunesse, et les princières origines de sa fortune ? Toute la parenté d’Avallon s’était-elle séparée de Marie-Josephte Minard, quand elle avait épousé en secondes noces « le beau la Haie » ? Et à présent encore, ceux-là mêmes qui, hors de sa présence, criblaient des railleries les plus piquantes M. de La Popelinière, n’exaltaient-ils pas la sensibilité de son âme, la noblesse de son goût, la générosité de ses actions ? A Paris, comme en Bourgogne, chez ses parens ou chez ses hôtes, Félicité n’a connu qu’une existence factice et de parade. Il y a les beaux sentimens, les belles pensées, les actions désintéressées dont tout le monde parle, dont on se pare pour le public, comme l’acteur met pour entrer en scène le fard et le clinquant destinés à déguiser sa véritable figure. Et il reste au fond, ce que tous connaissent et feignent d’ignorer, la vie réelle et ses misères, plaies morales ou plaies d’argent, tares, fautes et mesquineries. Sans doute, cet apprentissage de la vie ne fut point particulier à Félicité Ducrest. Encore faut-il avouer que peu de femmes, même au XVIIIe siècle, furent à ce point favorisées, et durent à un tel concours de circonstances une expérience aussi complète.

Si l’on met en regard de l’amusant récit de Marmontel celui que Mme de Genlis nous a laissé de son séjour à Passy, le contraste est piquant. D’un côté, un tableau où toutes les teintes sont riantes et libres, ont un air de vérité auquel on ne peut se tromper, et qui d’ailleurs s’accorde avec tout ce que nous savons sur les mœurs faciles de la société du XVIIIe siècle. De l’autre, une peinture doucereuse et assez fade d’un paradis de l’âge d’or ; couleurs pâles, figures sans relief, qui ne donnent l’impression ni de la sincérité, ni de la vie. « M. de La Popelinière avait les mœurs les plus pures, la condition la plus régulière et la plus décente, » écrit Mme de Genlis. Et tout le portrait est de ce ton. On aurait mauvaise grâce à lui chercher querelle pour s’être laissé surprendre en flagrant délit de reconnaissance : une fois n’est pas coutume. Admettons avec elle que ses souvenirs de Passy ne lui rappellent que la bienfaisance et la vertu à toute heure pratiquées ; ne nous demandons pas pour cette fois s’il y a chez elle inconsciente déformation morale ou hypocrisie. Nous