Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 52.djvu/871

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. de Mondorge « dans un enchantement inexprimable. » Mais il fit mieux que de lui donner des louanges ridicules et de montrer atout venant ces vers mirlitonesques : il lui conseilla de lire les bons écrivains. Il lui offrit, pour la mettre en goût, les poésies de J.-B. Rousseau. Peut-être les Poésies sacrées et les Odes n’étaient-elles pas les premières œuvres indiquées pour éveiller l’intérêt d’une enfant de cet âge. Elle s’exerça à les dire à haute voix ; ainsi elle s’emplissait la mémoire de belles images, de rimes éclatantes, et elle se familiarisait avec la cadence et l’harmonie des vers. L’année suivante, le présent poétique de Mondorge fut plus approprié. C’étaient les Fables de La Fontaine. Il est vrai qu’il y ajoutait, pour rester dans l’esprit de son temps, les œuvres de Gresset, y compris Vert-Vert. La petite apprit par cœur un bon nombre de fables. Cette fois, c’était bien un véritable commencement d’éducation littéraire.

La brouille avec Mme de Bellevaux était, de la part de Mme Ducrest, une impardonnable imprudence. Elle s’en aperçut en se retrouvant en face de tous ses embarras. Il fallut bien chercher un gîte. Félicité et sa mère échouèrent rue Traversière, dans un rez-de-chaussée « triste et humide, » où la ruine leur dut paraître deux fois lugubre. Elles n’y séjournèrent point. La Fortune compatissante se manifesta sous les traits de l’obligeant La Popelinière, qui leur ouvrit toute grande sa maison de Passy. Après la maison de Mme de Bellevaux, il n’en était pas qui pût moins convenir à une éducation de jeune fille. Mme de Bellevaux, qui élevait chez elle ses deux filles, et tenait malgré tout à une apparence d’honorabilité, gardait une certaine bienséance. Quelles raisons eussent pu engager La Popelinière à plus de réserve ? — Ses malheurs conjugaux l’autorisaient à vivre librement, en célibataire, avec la galanterie fastueuse des grands financiers de son temps. Quoi que vît Mme Ducrest, quelques fâcheux exemples qu’elle pût craindre pour l’enfant, il lui était difficile de se plaindre et de jouer l’ignorance. Elle savait, comme tout le monde, que La Popelinière était accueillant pour tous, et surtout pour toutes ; que ses goûts étaient vifs et passagers ; que ce généreux Mécène protégeait plus encore les artistes, danseuses, comédiennes ou chanteuses, que leur art. Les yeux d’enfant de la pauvre petite Félicité virent prématurément bien des choses qui