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faut que dans vos paroles elles soient toutes pénétrées de lumière, transparentes et « glorieuses. » Faites ce miracle… Devant son rayonnement, les défauts de votre œuvre disparaîtront. Ils tomberont comme une dépouille dont le corps sortirait plus jeune et plus brillant. Il s’agissait ici de comprendre la grandeur de Tennyson : elle ne s’explique point par ses faiblesses. Oui, la parure est trop chargée : n’y attachez pas vos yeux ; oui, le sens de la beauté tourne parfois au dilettantisme : voyez-y plutôt un effort de l’âme qui veut s’ouvrir davantage et s’assimiler toutes les richesses de l’art ; oui, l’élégance est parfois trop soignée, mais elle trahit tant de respect de soi-même et des autres ; oui, nous sentons ici ou là quelque froideur, mais elle cache tant de gravité…

Un critique illustre écrivait un jour d’un romancier fameux : « Il est de ces malheureux dont on peut dire qu’il vaudrait mieux qu’ils n’eussent pas vécu. » On ne saurait mieux résumer l’impression laissée par une lecture de Tennyson qu’en disant de lui tout le contraire. Il a lentement composé, dans les nobles loisirs d’une belle vie, une œuvre de vraie poésie, une œuvre de vérité, de respect et d’amour. Il a été un grand poète, — national et humain. Pour sa patrie et pour le monde, il vaut mieux qu’il ait vécu.


FIRMIN ROZ.