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-tique de cette étrange interprétation des événemens, en réclamant la reconnaissance immédiate de Moulaï Hafid. Au mois d’avril, le Comité du Maroc adoptait un ordre du jour où on lisait : « Considérant que l’action de la France est en contradiction avec le développement historique du Maroc, la réunion recommande au gouvernement d’appuyer Moulaï Hafid. » Et comme, au même moment, une mission hafidienne se mettait en route pour l’Europe, la chancellerie se trouvait dans l’obligation de choisir entre les actes internationaux qui la liaient au Sultan légitime et le mouvement d’opinion qui la poussait vers le prétendant.

Recevoir officiellement les envoyés de Moulaï Hafid et donner ainsi satisfaction aux prétentions pangermanistes, le prince de Bülow n’y pouvait point songer. Le droit international ne le lui permettait pas. Et d’ailleurs, dans une dépêche en date du 11 octobre 1907, M. de Tschirschky avait écrit : « En ce qui concerne le voyage en Europe des deux envoyés de Moulaï Hafid, nous resterons fidèles au point de vue que nous n’avons pas à nous immiscer dans les querelles du Maroc. Abd el Aziz est pour le moment, à nos yeux, le seul souverain légitime du Maroc. Les envoyés d’une autre personnalité marocaine n’ont aucune chance d’être reçus. » D’autre part, on ne pouvait oublier à la chancellerie que l’Allemagne, plus qu’aucune autre puissance, avait, vis-à-vis d’Abd el Aziz, d’étroites obligations résultant d’une initiative, non pas même de sa diplomatie, mais de son souverain, c’est-à-dire du voyage de Guillaume II à Tanger en 1905 et des paroles alors prononcées. Enfin, du point de vue international, il était difficile de recevoir comme des ambassadeurs les représentans d’un homme qui se trouvait avec la France en état de guerre ouverte. Usant de son habituelle souplesse, le chancelier essaya de contenter tout le monde. Il chargea M. de Langwerth, secrétaire de la légation d’Allemagne à Tanger, d’écouter les Marocains. Il fit part à M. Jules Cambon , ambassadeur de France, de leurs communications. Il leur conseilla de ne point trop se prêter aux manifestations que le comte Pfeil et ses amis pangermanistes avaient organisées en leur honneur. Et ayant ainsi sauvé la face, il mérita de la Correspondance marocaine cet éloge mitigé : « Si le gouvernement n’a pas montré aux envoyés de Moulaï Hafid la même courtoisie qu’il témoigne chaque jour à la France, il ne leur a pas du moins fermé la porte. »