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sont illuminées brusquement, à cette évocation du pays. Et voilà sa langue qui se dénoue. Vite, vite, elle fouille dans sa mémoire ; elle jette pêle-mêle les noms et les menus faits locaux. Son Metz à elle, c’est le Metz français, celui d’avant la guerre !…

— Pensez ! me dit-elle : il y a plus de quarante ans que je n’y suis revenue ! Je n’y reviendrai jamais !… Mais vous, monsieur, qui y retournerez sans doute, souvenez-vous de moi quand vous entrerez dans notre vieille cathédrale, et, si vous êtes chrétien, priez pour moi dans la chapelle du Rosaire, où j’avais coutume de prier, quand j’étais jeune fille !

Sa voix cassée se brise tout à fait, des larmes rougissent ses paupières. Elle me prend les mains. Nous sommes sur le seuil de la porte, et elle ne me laisse pas partir. Je sens bien que, pour elle, je suis le dernier passant avec qui elle aura pu, avant de mourir, parler de la terre natale. Je sens que, dans une minute, quand j’aurai franchi cette porte, le dernier lien se sera rompu avec tout ce qu’elle aima. Par pitié, je prolonge notre entretien. Et puis, un attendrissement me gagne devant ces larmes qui ne se contiennent plus, et je m’en vais, pour ne pas la faire éclater en sanglots.


LOUIS BERTRAND.