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la volonté d’un homme l’avait trop longtemps courbé sous la poussée d’un succès tyrannique.

C’est cette chance qu’a su utiliser le gouvernement républicain de 1885 à 1904. Et c’est de quoi ne sauraient le blâmer ceux qui ont conscience de l’intérêt français. Toute une lignée de ministres, MM. Flourens, Ribot, Hanotaux, Berthelot, Bourgeois, Delcassé ont collaboré à cet effort. Si divers que fussent leurs caractères, ils ont unanimement discerné la nécessité de le poursuivre. La conclusion de l’alliance russe a été, dans cette voie, le premier pas et le plus décisif. Pendant quelques années, on s’est contenté de la sécurité morale et matérielle que nous devions à cette alliance. La révision des traités tunisiens négociée par M. Hanotaux, les accords méditerranéens établis par M. Delcassé ont ensuite désarmé l’animosité italienne. Le rapprochement avec l’Angleterre, simple accord de liquidation d’abord et bientôt principe d’action, a augmenté peu après notre force d’attraction. L’entente avec l’Espagne en a été l’heureuse conséquence. Les réconciliations russo-japonaise et anglo-russe sont venues en dernier lieu apporter aux engagemens divers, sinon contradictoires, par lesquels nous étions ainsi liés, l’harmonie interne, qui, d’abord, leur avait fait défaut.

Ce changement ne pouvait pas ne pas préoccuper l’Allemagne ; et il serait vain autant qu’injuste de s’étonner des efforts qu’elle a multipliés pour y répondre. Quand l’habitude est prise de régner sans partage, on trouve dans les divisions des autres la garantie du pouvoir qu’on exerce. Et l’on ne voit point cesser ces divisions sans redouter une diminution de ce pouvoir. Tel fut le cas de l’Allemagne. Il lui avait fallu plusieurs mois pour s’accoutumer à l’alliance franco-russe[1]. Il lui a fallu plusieurs années pour s’accoutumer à ce qu’on a appelé les ententes occidentales. Dès le 28 avril 1904, quinze jours après la conclusion de l’accord franco-anglais, le langage de Guillaume II témoignait de son irritation[2]. Un an plus tard, la défaite des Russes à Moukden le mettait en mesure de la manifester. Et c’était le voyage de Tanger. A distance de perspective, ces événemens s’enchaînent avec une rigueur lumineuse. L’affaire marocaine, réveillant les haines ataviques, n’est qu’une partie dans un plan

  1. Voyez les discours prononcés au Reichstag, en 1890, par le comte de Caprivi, chancelier de l’Empire.
  2. Discours prononcé à Carlsruhe.