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manifesté une grande agitation, et se sont livrés à des manœuvres de groupes pour faire échouer la combinaison. Étant la fraction la plus importante de la majorité, ils ont revendiqué pour l’un d’entre eux la présidence du Conseil. Mais pour lequel ? C’est là que commençait la difficulté, les radicaux et radicaux-socialistes étant incontestablement très nombreux, mais n’ayant pas d’autre qualité. M. le président de la République, s’il a voulu leur donner satisfaction, a dû éprouver un grand embarras pour faire un choix parmi eux : il en est sorti en ne le faisant pas. Les radicaux et radicaux-socialistes pourraient seuls lui en faire un crime ; ils ne sont pas allés tout à fait jusque-là et se sont contentés de lui en faire un reproche. Toutefois, à peine le ministère était-il formé, que M. Lafferre a annoncé l’intention de l’interpeller. M. Lafferre, grand maître de la franc-maçonnerie, — ce n’est peut-être pas son titre officiel, mais c’est sa fonction, — est un représentant autorisé du parti radical et radical-socialiste. Au cours de l’interpellation sur la politique générale du cabinet Clemenceau, un discours prononcé par lui l’avait mis en relief, discours à la fois ministériel et indépendant qui concluait à la conservation du ministère après lui avoir adressé un certain nombre d’observations critiques, dont quelques-unes, il faut le dire, ne manquaient pas de justesse. M. Lafferre, porte-parole de son parti, éprouve des appréhensions qui sont en partie les nôtres. Il nous est beaucoup plus indifférent qu’aux radicaux que la présidence du Conseil appartienne à tel ou tel groupe de la majorité ; mais les socialistes étaient déjà deux dans l’ancien ministère, et l’entrée de M. Millerand dans le nouveau en porte le nombre à trois. Enfin M. Briand, socialiste lui aussi, devient le chef du gouvernement. Il est très probable que la force du parti en sera accrue. Les radicaux s’en inquiètent au point de vue électoral, ayant déjà vu un certain nombre de sièges leur échapper pour passer à des socialistes : ils estiment qu’avec la composition du nouveau ministère, ce mouvement s’accentuera. C’est aussi notre crainte, mais nous y en ajoutons d’autres, notre vue n’étant pas aussi étroitement bornée que celle des radicaux aux perspectives électorales de l’année prochaine.

Il serait facile d’être très sévère pour M. Briand. Il a un passé qui ne le recommande pas aux hommes d’ordre et qui pèserait très lourdement sur lui si nous n’étions pas dans un de ces momens de trouble moral où tout est confondu. Mais peut-être ne serait-il ni généreux ni politique de le condamner à ne jamais se dégager de ses origines. M. Briand est un homme de sens pratique, doué d’une grande sou-