Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 52.djvu/72

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette politique, à laquelle M. Delcassé a attaché son nom, mais dont on ne saurait attribuer à lui seul, de quelque façon qu’on la juge, le mérite ou la responsabilité, est aujourd’hui approuvée, dans son principe, sinon dans ses conséquences, par la grande majorité de l'opinion française. Et on peut la considérer comme une politique nationale. Elle constitue une moyenne entre le devoir qui s’imposait à la France de se relever de ses échecs de 1871 et la volonté qui l’a animée de ne pas demander ce relèvement à une guerre de revanche. Les défaites des peuples ont des conséquences immédiates et lointaines. Les premières sont d’ordre militaire ; les secondes, d’ordre diplomatique. Ce sont les conséquences diplomatiques de la guerre franco-allemande que la France a voulu effacer. Et c’est en les effaçant qu’elle a provoqué l’acrimonie de l’Allemagne. Entre le vainqueur et le vaincu, le conflit politique était sans doute inévitable. Ce n’est ni un caprice de souverain ni un entraînement populaire qui l’explique. Il résultait de la nature des choses. Et ne peut-on penser que de sa fatalité même se dégage une leçon d’apaisement ?

Les victoires remportées par l’Allemagne, il y a trente-neuf ans, n’ont pas seulement créé au centre de l’Europe une puissance formidable dont l’essor économique a centuplé le rayonnement. Elles ont formé autour du nouvel Empire un groupement diplomatique qui, pendant dix ans, a dominé le monde d’un poids sans contre-partie. Depuis la conclusion de la Triple-Alliance jusqu’à la chute de Bismarck, c’est de Berlin qu’est parti le mot d’ordre auquel l’Europe a obéi. Vienne et Rome, satellites dociles ; Pétersbourg lié par les deux contre-assurances de 1884 et 1887 à la politique même qui, en 1878, avait livré la Russie aux représailles de l’Angleterre ; Londres tenu en haleine et en coquetterie par des avances dont l’expansion coloniale française augmentait le prix : telle était la situation unique dont un chancelier de génie avait su faire bénéficier l’Empire. En face de ce bloc compact, la France ne pouvait que subir la paix sans en jouir. Elle était à la merci d’une « saignée à blanc, » comme elle en avait été menacée en 1875 et devait, dans l’hypothèse d’une guerre, limiter son espoir au salut de son honneur. Elle avait en revanche une chance d’avenir : le jeu naturel de cette loi d’équilibre qui, contre Charles-Quint, Philippe II, Louis XIV ou Napoléon, a toujours redressé le fléau de la balance, quand