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La souche en est toujours la Paroisse et la « branche principale, » le bureau d’Argental ; puis à côté de cette branche principale, des rejetons : Carsel, maître d’hôtel de Mme Doublet, trafique lui-même de ses nouvelles, qu’il fait transcrire par les six domestiques de la maison, lesquels ensuite les exploitent chacun à son profit. « Il appert par ce qu’on vient d’exposer, dit Kauffmann, qu’il existe actuellement huit bureaux de nouvelles à la main qui, dans le fond, sortent tous par le même canal (la Paroisse), savoir : le bureau de Gillet et de Paul (ce dernier était, comme Gillet, valet de chambre chez les d’Argental), celui de Paul en particulier, et ensuite, celui de chaque scribe en particulier. » Cela faisait même neuf.

Les feuilles publiées par ces derniers bureaux se vendaient bon marché, trois livres, voire deux livres par mois. On les lisait partout. Un certain Jacquinet, « mouche » de la police, se trouve chez trois marchandes de toile associées dans l’enclos du Temple. Plusieurs autres femmes sont encore là. Jacquinet ignore leurs noms. L’une d’elles, âgée d’environ cinquante ans, est coiffée à la paysanne. Elles sont toutes curieuses d’écrits prohibés et, après le dîner, quand les plats ont été reportés à la cuisine, elles se mettent, les coudes sur la table, à lire les feuilles de nouvelles. Kauffmann cite non seulement des marchands, mais des ouvriers de la rue Montmartre qui s’y abonnent et les lisent avec avidité.

La Révolution approche. Les nouvelles à la main descendent dans la rue et montent aux mansardes. Les « Paroissiens » n’auraient pu rêver plus grand succès ; mais il se produisait à leur déclin. En 1768, des opérations hasardeuses ont ruiné Bachaumont ; la même année, les feuilles de la Paroisse annoncent la mort de l’abbé Legendre, le frère de Mme Doublet, l’un des trois membres de la Trinité. Mme Doublet, toujours délicieuse, était devenue une petite vieille ratatinée ; elle était ridée comme une pomme de reinette, coquette encore. Et les autres Paroissiens ? L’abbé de Chauvelin était mort, ainsi que l’ami Falconnet. Comme on demandait à Voisenon :

« Que faites-vous ?

— Je suis en train de mourir. »

Piron disait :

« Dame Nature m’a crevé les yeux, arraché les dents, creusé la poitrine, affaibli l’estomac. »