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viendra sans doute. Mais, en attendant, le peuple doit faire son œuvre et compter sur lui seul. Votre Flora Tristan est une comédienne, votre Eugène Pelletan un farceur. Jean Aycard, Charton, braves jeunes gens, mais bourgeois ! Envoyez-leur des exemplaires. Acceptons le peu que font ceux-ci, et tout ce dont ceux-là font le semblant ; mais quand vous lèverez à l’avenir du monde, à la régénération de la foi et de la vertu, inspirez-vous du peuple, mon enfant…

« Jourdan m’a fait voir une ancienne lettre de vous, où vous étiez aussi sceptique que les plus sceptiques. Vous étiez blessé des mauvaises rimes de Savinien (Savinien serait un grand poète s’il n’avait déjà pris les vices de cœur de la bourgeoisie littéraire qu’il fréquente et qu’il singe. Il ne fera pas de progrès, je vous le prédis ; il est perdu d’orgueil, d’ambition et de vanité). Vous étiez désespéré de voir l’abjection et les vices du pauvre peuple ! Mon enfant, vous regardiez la réalité. La réalité n’est pas la vérité. Il y a là une grande distinction à faire. Tenez, vous pourrez la faire en termes poétiques et en beaux vers. C’est un sujet digne de vous. Moi, je vais vous l’indiquer en vile prose. La réalité, c’est le spectacle des choses matérielles ; c’est changeant, mobile, transitoire, transformable, éphémère comme elles. Ce n’est donc pas la vérité. La vérité est immuable et éternelle. C’est quelque chose d’abstrait et d’éternellement pur et beau comme Dieu, car c’est Dieu même… »

(Suit une page sur ce thème, que Poncy a médiocrement versifiée dans son recueil.)

« Voyez donc la réalité pour souffrir et pleurer sur les maux de la terre. Voyez la vérité pour avoir confiance en Dieu et lire dans l’avenir du monde.

« Et puis, quand vous pensez à notre monde de lettrés et d’érudits, ne vous figurez pas que Dieu leur parle plus qu’à vous, noble poète ignorant des choses d’ici-bas, plus qu’à Désirée, cette simple fille de la nature et de l’amour. Ne vous faites pas des idoles de chair et de sang, car tout cela c’est de la boue si Dieu ne l’échauffé et ne le transforme. Ne vous préoccupez pas de comprendre ce que veut celui-ci, et ce que cache celui-là. Tout cela, c’est le chaos de la dissolution qui se fait dans les intelligences avant de se faire dans les institutions. Ce miracle sortira du peuple ; et vous, poète prolétaire, vous êtes un des prophètes du miracle, le plus inspiré jusqu’à présent ! Ayez grande idée de