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eux. Vous en avez, et je ne cesserai pas de vous dire que pour être un grand poète il faut être un bon enfant. Le génie ne grandit qu’à la condition d’être modeste. Il est vrai que vous avez corrigé admirablement et avec courage. J’ai donc plus de complimens que de sermons à vous faire. Mais je vous gronde et je vous blâme de regretter le tonnerre taille, et autres âpretés de langage ou métaphores exagérées que le goût proscrit. Je ne me pique pas d’être classique, je m’en défends au contraire. Mais je me défends aussi de l’excès romantique, et je crois que le beau est à la limite de l’un et de l’autre. A preuve que vous êtes, sauf quelques cas signalés, à cette limite excellente. Quand vous êtes vraiment grand, vraiment inspiré, vous êtes aussi romantique que possible, et en même temps aussi classique que possible, c’est-à-dire que vous ne tombez ni dans le stupide de l’un, ni dans l’absurde de l’autre, et que vous avez pourtant toutes les forces vives de l’école de Hugo et toute la pureté majestueuse de l’école de Racine. Cultivez l’une et l’autre, sans être le copiste d’aucune. Quand vous entendrez dire à vos courtisans : « Voilà du Hugo ! » soyez sûr que vous avez lâché une folie ; de même que si l’on vous dit : « Voilà du Racine ! » vous aurez lâché une platitude. C’est que ce qui est l’imitation servile des modèles est toujours mauvais, quelques grands que ces modèles soient…

« Je ne voudrais pour vous corriger que vous montrer le ridicule amer et déplorable de la plupart de nos grands hommes : ils vous sembleraient petits et bêtes ; et pourtant ils ne sont qu’un peu fous, et enivrés de flatteries. Moi, je vous dis : vous avez du génie et de l’esprit ; faites servir votre esprit à empêcher votre génie de vous rendre bête.

« Je blâme une petite partie de vos dons. Un exemplaire à de Musset ! Il méprise profondément les ouvriers poètes, et, à moins qu’un miracle ne se fasse en lui, il crachera sur votre volume. Il est devenu talon rouge et conservateur, à la fois marquis et juste milieu. Aussi n’a-t-il plus le feu sacré qui lui inspirait autrefois des chants sublimes. Il est mort. Un exemplaire à Lerminier !… C’est donc pour qu’il vous étrille et que je sois forcée encore de défendre votre cause contre lui[1] ? Mais pourquoi s’humilier devant ses ennemis et leur faire la révérence ?… Un Lerminier ! Je ne vous le passe pas ! ou bien, si

  1. Allusion à ses deux Lettres à Lerminier à propos du Livre du Peuple, de Lamennais.