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Sand, qui ne pouvait tarder à s’en apercevoir, n’en continua pas moins à le cultiver, à l’élever jusqu’à elle par tous les moyens.

Elle s’en prend d’abord à ses travers littéraires : car il en a, étant, au fond, plus imitateur ou « assimilateur » que créateur. Tantôt c’est un dandysme de pacotille que Poncy a emprunté de Musset, tantôt des « hugotismes » qui détonnent sous la plume d’un prolétaire. Qu’est-ce que cette « Juana l’Espagnole, » chantée par le très récent époux de Désirée ? « Voulez-vous être un vrai poète ? soyez un saint ! » Qu’il aime sa femme et non toutes les femmes. « Aimez-la, aimez-la ! et vous verrez qu’on aime toujours plus, quand on n’aime qu’une seule femme. L’amour ne se consume et ne s’appauvrit que dans les faibles cœurs. Les organisations fortes le nourrissent fortement et l’alimentent toujours d’une flamme nouvelle. Quand j’ai voulu peindre un homme plus fort que tous les autres, j’ai fait Bernard Mauprat à l’âge de quatre-vingts ans, n’ayant jamais connu le baiser que d’une seule femme, et j’ai connu des hommes rares qui ressemblaient à celui-là. Leur intelligence était plus puissante que toutes les autres. » (10 février 1843.)

Cependant Poncy achemine vers Nohant ses nouvelles poésies, en vue d’un second volume. George Sand lui a demandé d’en faire la Préface. Ce sera le Chantier, titre proposé par l’auteur, adopté par George Sand et accepté par Béranger. Voilà donc le Chantier sur chantier. On y travaille à Toulon. On corrige à Nohant, on révise à Paris. Il faudra trouver éditeur, faire les fonds nécessaires, trouver des souscripteurs, puis des acheteurs. Et George Sand négociera avec son propre éditeur Perrotin, obtiendra du crédit, fera ou fera faire des articles, souscrira, achètera, placera. Ce n’est plus seulement la « patronne » et la maman de Poncy, c’est son universelle Providence. Car elle pourvoit à tout. Et elle redresse, épluche, critique chaque pièce, sans perdre d’ailleurs de vue les idées sociales, sans ralentir son prosélytisme enflammé. Au passage, elle s’exprime avec une entière franchise sur les célébrités du jour, et ceci n’est pas le moins piquant de l’histoire :

« Mon cher enfant, comme il est convenu que vous ne montrerez jamais mes lettres, je puis vous écrire tout ce que je vous dirais. Béranger est un peu politique. Il a lu vos vers et les a corrigés avec retenue et contrainte. Il ne veut pas croire à la modestie d’autrui, parce que la sienne est un peu jouée. Du