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un chien qui se secoue avec vigueur au sortir de l’eau, le peuple russe a secoué l’autocratie ; il a conquis sa Douma. Par quels moyens ? Par le boycottage, par la grève, par la bombe. Pourquoi l’Inde n’aurait-elle pas aussi son Assemblée nationale ? Pourquoi ce qui est bon pour les Russes ne vaudrait-il rien pour les Indous ? D’autre part, le ministère libéral encourage les audaces réformistes. Avec grand soin, les intellectuels ont noté le mot de sir Henry Campbell Bannermann : « Un bon gouvernement ne vaudra jamais le gouvernement du peuple par lui-même. » En citant cet aphorisme, ils exigent impérieusement que l’on mette d’accord les actes avec les paroles.

Le Congrès national indou de 1904 était présidé par un ancien fonctionnaire anglais, sir Henry Cotton, adversaire résolu des procédés administratifs actuels. Ce fut un stimulant pour les réclamations indigènes, malgré le geste de lord Curzon, qui refusa de recevoir sir Henry Cotton comme président du Congrès, quand celui-ci vint lui présenter un cahier de revendications.

Enfin, M. Keir Hardie, chef socialiste à la Chambre des communes, le même qui, en janvier 1909, dressa le programme du parti ouvrier anglais, a excité les Indous contre la domination britannique. À peine débarqué au Bengale (1907), au moment où l’effervescence battait son plein, il prononça devant des indigènes quelques paroles imprudentes : « Les atrocités anglaises au Bengale égalent en horreur celles d’Arménie… Moi, député anglais, j’ai voulu voir par mes propres yeux ; aussitôt rentré à Londres, je demanderai la nomination d’une commission spéciale pour étudier la question. » La presse indigène couvrit de fleurs cet auxiliaire inattendu : « Dieu a envoyé M. Keir Hardie pour démolir la conspiration gigantesque tramée contre les Indous. »

Un journal anglais lui demande par le télégraphe des indications sur le résultat de son voyage. Voici sa réponse : « Toutes les classes de la population bengalaise m’ont accueilli avec courtoisie. Je n’ai fait aucun discours public. J’ai interrogé les radjahs, les musulmans, les magistrats, les instituteurs et les paysans. Conclusion : il n’existe pas un véritable mouvement de révolte. Une police hostile remplit les districts. Le mouvement organisé pour boycotter le commerce anglais et essayer de développer l’industrie indienne se répand avec rapidité… Les conditions économiques des paysans sont absolument déplorables.