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roupies, a fait, de l’aveu des Anglais, une lamentable faillite, que les indigènes sortent des universités de la métropole ou simplement des écoles du pays. En 1901, d’après la statistique officielle, un million d’Indous écrivaient et parlaient l’anglais. Les nombreux généraux de cette armée, diplômés des universités anglaises, citent Shakspeare, Locke et Macaulay. Ils ont coudoyé at home leurs futurs administrateurs ; ils ont assisté, d’un peu loin, à des matches interminables de football, de golf et de polo. Leur esprit subtil a discerné promptement chez ces pseudo-condisciples, la « satisfaction intense de soi-même, » la morgue, le parfait dédain de tout ce qui n’est pas britannique, a fortiori des sujets de l’Empire, aux cheveux plats, mais à l’épiderme teinté de pigment. Réfractaires à l’influence du milieu, ces transplantés observent, examinent, réfléchissent. Tout leur donne d’étonnantes leçons de choses : les discussions politiques, la lecture attentive des journaux, les événemens les plus ordinaires de l’existence européenne, si différente de la leur, qu’ils croient la voir se dérouler dans une autre planète. Ils constatent sans peine qu’en Occident le peuple s’est imposé comme puissance redoutable et que le bulletin de vote confère à chaque électeur une parcelle de pouvoir. Comme conséquence logique, le souverain de l’empire britannique « ne peut toucher un sou sans un vote des mandataires du peuple, lui qui, dans l’Inde, fait et défait les rois. » Cette prépondérance de la démocratie est pour eux une révélation. Séduits par les théories égalitaires, ces jeunes étudians conçoivent l’idée d’une patrie commune aux peuples indous qui peinent du cap Comorin aux monts Himalaya. Gavés de philosophie, de littérature et d’histoire, après avoir « bu longuement aux sources occidentales, » ils rentrent chez eux, nationalistes, avec, au cœur, au lieu d’une vive reconnaissance pour l’Alma mater qui leur a généreusement ouvert tant d’horizons, la haine de l’Angleterre et du nom anglais, une haine implacable, féroce, anarchique, assoiffée de destruction et de liberté.

Que trouvent-ils dans l’Inde ? Le despotisme pur, des fonctionnaires altiers, dédaigneux, dans une sphère supérieure et inaccessible. Alors, leur idéal est l’abolition du pouvoir existant : objectif à atteindre par tous les moyens, même par les bombes, si les bombes peuvent hâter le « départ » des Anglais. Ainsi, plusieurs auteurs l’ont déjà remarqué, les idées occidentales que