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traversent la nuit de ces intelligences ; peu à peu, le niveau intellectuel s’élève ; le milieu est moins mal préparé à concevoir les théories réformistes. Mais ce mouvement, très lent, s’exerce, on peut le dire, en spirale, comme le progrès de l’esprit humain.

Entourés du prestige de leur caste comme d’une auréole, ces leaders possèdent assez d’autorité pour canaliser les théories nouvelles ; ils ont la souplesse et l’éloquence diffuse nécessaires pour les mettre à portée de leurs auditeurs. Ils ont l’imagination de leurs compatriotes, fantastique, désordonnée, sans frein. Aussi les orateurs enflent-ils démesurément leurs récits, en faisant miroiter aux yeux de la foule un enchevêtrement de pensées et d’images, « s’émerveillant eux-mêmes sous le fourmillement de leurs propres crémations. » Les Indous des premières castes, — exerçant sur ces êtres simples une influence très réelle, — leur inculquent à la longue des notions sommaires sur la patrie indienne, l’unité désirable de ses peuples et le dommage que cause à l’Inde la toute-puissance dominatrice. D’où, nécessité pour la collectivité d’agir en vue de chasser les Européens et de reprendre la direction de ses destinées.

D’abord, les vice-rois ne prêtèrent qu’une attention distraite à ces assemblées, sans influence, croyaient-ils, sur l’exercice de la suprématie, mais qui entretenaient, en réalité, un esprit de révolte, origine de toutes sortes de manifestations bruyantes. Chauffée à blanc, la jeunesse chantait à pleins poumons l’hymne national, les grèves se multipliaient, les émeutiers distribuaient des proclamations, les pamphlets circulaient. Des agitateurs fanatiques déposaient çà et là le virus de la rébellion. Des troubles éclataient en des points si éloignés les uns des autres, que l’on crut à une agitation préparée de longue main, à l’explosion concertée du mécontentement général. Signalé à Madras où des patrouilles parcouraient les rues, le mouvement xénophobe gagna Cachemire, où les Indous des castes supérieures achetèrent par souscription tout le sucre de betterave disponible, pour le détruire à loisir. À Delhi, les révolutionnaires se contentèrent de dévaster quelques magasins, et, en manière de protestation, de découronner la statue de la reine Victoria. L’émeute, intense à Lahore, fut renforcée par une grève de chemin de fer. Des bandes de paysans, que les rebelles armaient de gourdins, fourmillaient dans la ville et les faubourgs. L’agitation atteignit