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conme un dôme, brodé comme un étendard, où luit le croissant islamique.


28 avril.

Le petit jeu de société qui occupa nos soirées est fini. L’Arménien, l’avocat de Salonique, les dames grecques et moi-même nous ne demanderons plus :

« Que va-t-on faire d’Abdul-Hamid ? »

Abdul-Hamid est parti, non pas sous un déguisement, pour Gorfou, chez son ami Guillaume II, ou pour l’Asie Mineure, qu’agite son cher fils Burnaheddine… Abdul-Hamid est parti, cette nuit, sous bonne escorte, avec un petit nombre de femmes, d’enfans et de serviteurs. Il ira vivre à Salonique, en pays non suspect, sous l’œil vigilant du Comité. En même temps que son départ, nous apprenons des détails curieux sur sa vie intime, pendant ses derniers jours de règne, et les circonstances lamentables de sa chute.

Depuis que la victoire des libéraux semblait assurée, les courtisans, les fonctionnaires, les domestiques, avaient abandonné Yldiz. Quand l’armée de Macédoine approcha, les femmes du harem impérial crurent qu’elles seraient livrées à des ogres dont elles ignoraient tout, la veille encore, — et qu’on appelait Jeunes-Turcs. Certaines d’être violées, torturées et tuées par les diables de Roumélie, elles poussaient des cris terribles que l’on entendait, la nuit, jusqu’à Béchibtache… Les gardiens des ménageries, prudens comme des ministres réactionnaires, s’étaient mis en sûreté, ainsi que les seigneurs des cuisines. Bêtes et gens, et Sa Majesté même, risquaient un jeûne sévère, plus sévère qu’eu plein Ramadan… Quelques serviteurs fidèles s’avisaient pourtant de prévenir les perquisitions et les confiscations possibles, et commençaient un laborieux emballage que la défaite de la garnison interrompit…

Le Sultan espérait encore. Pendant que ses femmes criaient, que ses eunuques rassemblaient les pierreries et l’or, que les perroquets pâlissaient de faim dans leurs volières, et que les panthères mélancoliques bâillaient sinistrement, pendant que les bateaux languissaient sur le lac et que les chevaux oubliés piaffaient dans les écuries, le Sultan rêvait une combinaison ultime, un bon petit arrangement.