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« Faut-il, si les hommes compétens le jugent nécessaire, lui proposer d’abdiquer le Sultanat et le Khalifat ou le déposer ?

« Réponse : — Oui.

« Le Cheik-ul-Islam

MEHMED ZIAEDDINE. »


Vers une heure et demie à la franque, l’Assemblée nationale, repoussant l’hypothèse d’une abdication, prononça la déchéance d’Abdul-Hamid. Deux délégations partirent, l’une pour notifier au Sultan le décret de déposition, l’autre pour aller chercher Réchad Effendi et le conduire au Séraskiérat où s’accomplirait la cérémonie du Béiat ou allégeance.

Déjà le chef d’escadron Habib-bey, député de Bolou, s’était rendu en toute hâte au palais de Dolma-Baghtché, afin de s’assurer du consentement de Réchad. Le prince, qui terminait sa toilette, reçut le mandataire du Parlement qui lui recommanda de « conserver tout son calme, » ce à quoi Réchad Effendi répliqua, non sans à-propos, qu’il « conservait son calme » depuis trente-trois ans !

Depuis trente-trois ans, en effet, il vivait dans une réclusion presque complète, entouré d’espions, surveillé jusque dans l’intimité du harem. Il ne pouvait prononcer une parole qui ne fût aussitôt rapportée à Yldiz ; il ne pouvait témoigner à quiconque un sentiment de bienveillance sans le signaler à la vindicte du Sultan. Aucun habitant de l’Empire n’eût osé le nommer tout haut ; et il n’y a pas d’exemple qu’un enfant nouveau-né eût reçu ce nom de Réchad, assez répandu naguère dans le peuple. Quand le prince sortait en voiture, — après autorisation, — les bonnes gens qui apercevaient l’équipage, encadré de policiers, détalaient à force de jambes, car il était malsain de regarder Réchad Effendi. Ignoré de tous, sans influence, sans amis, le mélancolique héritier se consolait comme il pouvait avec le jardinage et la musique, plaisirs peu coûteux, les seuls à sa portée, puisqu’il manquait d’argent, et que ses fournisseurs lui devaient faire crédit.

L’excellent frère Abdul-Hamid laissait d’ailleurs entendre que Réchad Effendi n’était pas bien malheureux, et que, malgré les prescriptions coraniques, les bons vins et les chauds alcools lui faisaient trouver en ce monde le paradis de Mahomet. On disait aussi que les belles femmes, en trop grand