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la montagne où se dressent des coupoles blanches et des cyprès obscurs… La caserne Sélimié, bâtisse jaune comme le Taxim, domine Scutari. C’est le dernier asile des troupes réactionnaires.

Que se passe-t-il, là-bas ? Et là-bas, à notre gauche, dans ce pli de vallon moutonnant d’épaisses verdures, qui recèle les kiosques mystérieux d’Yldiz ?

On regarde… On attend… Quoi ?… La fumée blanche, le fracas d’une canonnade ?… Mais tout est calme, sous le ciel infini, dans l’immense paysage panoramique. Et la seule clameur qui s’élève, c’est, dans un petit café, parmi les figuiers et les vignes, l’hymne de la Constitution, cuivré, nasillard, déchiqueté par un phonographe.


26 avril.

Yldiz s’est rendu. L’Assemblée nationale délibère en secret, et Abdul-Hamid règne encore. L’état de siège a été proclamé hier soir. Les invités de M. Constans ont dû rentrer chez eux, sans dîner, parce que Mahmoud Chevket Pacha, — le seul maître actuel de la ville, — oblige les bons citoyens à s’enfermer, dès huit heures, dans leurs maisons. Plus de dîners, plus de réceptions, plus de théâtre. Vainement, les journaux annoncent l’arrivée de Suzanne Desprès et de sa troupe, qui joueront Phèdre et la Rafale… Si la rigueur de la consigne ne s’adoucit pas, dans quelques jours, il nous sera bien difficile d’applaudir la célèbre actrice française. Nous nous consolerons en jouant aux jeux innocens des prévisions et des prophéties, au corbillon politique :

« Où est le Sultan ?… Qu’en fait-on ?… »

Et parfois, nous entr’ouvrirons la fenêtre ; nous jetterons un regard dans la rue déserte où brillent les baïonnettes des sentinelles, où rôdent les patrouilles silencieuses… La rue appartient aux soldats seulement, et aux grands chiens jaunes, qui fouillent les détritus amoncelés devant les portes. Les patrons des cafés se désolent, et l’on prétend que les demoiselles fardées, à jupes courtes et à chapeaux extravagans, fleurs nocturnes des trottoirs de Péra, protestent contre l’état de siège…

Les communications entre Péra et Stamboul sont rétablies, et je suis allée aujourd’hui au Vieux-Sérail pour visiter les deux musées.