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infirmière grecque, à l’hôpital Hamidié de Chichli, un matelot sur le stationnaire italien, ont été frappés mortellement. À l’hôpital français, la sœur supérieure et le professeur Isoard entraient dans le cabinet de radiographie, quand une balle, perforant la vitre, passa entre eux, effleura sans les briser des instrumens précieux et fragiles, et filant, avec une précision élégante, parmi l’encombrement des tubes et des flacons de cristal, s’enfonça dans la muraille où elle est encore…


Après déjeuner, M. Guinet, avocat et correspondant du Matin à Constantinople, m’a fort obligeamment proposé de m’accompagner à Stamboul, pour la séance du Parlement. Mais le pont de Galata était barré… Les soldats de Salonique occupent toute la place de Karakeuy et le petit caracol qui ressemble à un café-concert de province, — genre oriental ! — est rempli de prisonniers. Ce caracol a fait une belle défense, et très meurtrière. Faute de mieux, nous remontons à Péra, et nous allons voir les casernes bombardées.

La plus importante, celle qui supporta le plus rude assaut, est la caserne d’artillerie du Taxim, un vaste bâtiment jaunâtre, construit sur la hauteur qui domine Péra et le Bosphore. Les bourgeois pérotes, endimanchés et placides, traînant des mioches et des bonnes, envahissent les trottoirs et débordent sur la chaussée, malgré les voitures lancées au grand trot, les voitures où des fusils brillent, où se serrent des uniformes gris, bleus ou bruns, où parfois on devine, entre les soldats, la face impassible, les bras enchaînés d’un prisonnier qu’on emmène. Chemin faisant, nous regardons la caserne des pompiers dont les écuries touchent presque l’hôpital français… Dans ces mêmes écuries, des mutins se réfugièrent qui furent cernés, jetés contre le mur, fusillés et achevés à coups de crosse, avec une fureur sauvage, sous les yeux des religieuses épouvantées… Plus loin, — pendant la seconde attaque, — d’autres mutins, échappés du Taxim, essayèrent de s’enfuir du côté de l’église grecque en escaladant des murs. Mais les soldats macédoniens les pourchassèrent comme des bêtes forcées. À peine un de ces malheureux se hissait-il sur la crête de pierre, qu’une balle l’abattait, et les corps qui ne glissaient pas demeuraient suspendus, jambes et bras ballans, misérables marionnettes disloquées…