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Et voici qu’à cette heure où s’obscurcit le jour,
Son triste front tomba, comme épuisé d’amour,
Sur son épaule inanimée…
Puis son cœur s’arrêta, trop las pour battre encor ;
— Et l’on dit qu’aussitôt surgit la coupe d’or
D’une frêle fleur embaumée.

La source qu’il aimait fut son ultime lit.
Des nymphes, doucement, l’auront enseveli
Dans cette onde qu’un souffle plisse…
Et depuis lors, du fond des grottes et des bois,
La plainte d’une voix répond à notre voix ;
C’est Écho qui pleure Narcisse !


L’ATTENTE DE L’AMOUR

Je l’attends… car je sais qu’il doit venir pour mol
Comme il vient ici-bas pour toute créature,
Le dieu puissant et doux dont frémit la nature
Et qui fait naître en nous le désir et l’émoi.

Je l’attends… Il viendra je ne sais où ni comme…
Sera-ce sous les traits furtifs du voyageur
Ou tel le chevrier qui chemine, songeur ?…
Sera-ce un homme grave, ou sera-ce un jeune homme ?…

Je ne sais ; mais je sais qu’à celui que j’attends,
Celui qui doit un jour me dire un mot suprême,
Je ferai librement l’abandon de moi-même,
De ma jeunesse belle ainsi qu’un beau printemps.

Il aura mes bras blancs pour ceinture ; ma bouche
Sera la coupe fraîche où sa bouche boira ;
Dans mes cheveux, sa main tendrement passera,
Pour me parler, sa voix se fera moins farouche ;

Il prendra pour miroir le miroir de mes yeux,
Sa tête penchera sur mon épaule nue…
Éros met dans les cœurs une ardeur inconnue :
Nous nous sentirons forts comme de jeunes dieux !