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de la nation. Nous pouvons donc concevoir que l’évolution du Japon s’opérera d’une manière continue, sans crise sociale, par l’action prévoyante du gouvernement. Les trois ou quatre mille intellectuels de l’Empire n’exercent leur influence que dans un sens anti-européen, et s’ils essayaient de devenir un parti révolutionnaire, la nation, blessée dans ses sentimens les plus chers, se soulèverait contre eux. Certes, la presse discute les actes et la politique du gouvernement avec une grande indépendance, mais elle respecte absolument le principe impérial. Ses cautionnemens répondent du moindre écart. En outre, une censure vigilante est exercée sur toutes les publications. N’est-il pas téméraire de croire qu’un Japon nouveau vient de naître qui va travailler au déclin de la cohésion de l’Empire ? »

En résumé, le vrai vainqueur de Tsoushima, de Port-Arthur et de Moukden, c’est le vieux Japon. Son triomphe lui a donné une énergie nouvelle, il a confiance et croit à sa destinée de régénérer les peuples de l’Orient. Quand de telles ambitions s’emparent d’un peuple guerrier de 52 millions d’habitans, des changemens dans la géographie politique du monde en sont la conséquence probable.

Quoi qu’on en dise, le vieux Japon n’est pas mort. Qu’importe le changement de costume, qu’importe l’usage des procédés les plus scientifiques, si la mentalité ne se modifie pas ? Son âme, imprégnée de loyalisme, reste la même, et l’histoire de sa dernière guerre ne sera pas l’épitaphe héroïque que certaines nations voudraient graver sur sa tombe.

NÉGRIER