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l’esprit du temps, que de monter sur un théâtre. Fallait-il passer outre et braver le préjugé ? C’eût été faire une révolution dans les mœurs. On ne peut cependant pas demander à l’Académie d’être révolutionnaire.

On voit ce qu’il convient de penser des choix et des omissions, reprochés comme autant d’erreurs à l’Académie française. C’est surtout aujourd’hui que beaucoup de ces choix nous paraissent mauvais, par le recul du temps qui met chacun à sa place et laisse tomber dans l’oubli ceux qui ne méritent pas de survivre ; à leur date, ces mêmes choix parurent sans doute estimables, et l’on félicitait l’Académie de les avoir faits. Quant aux omissions, il suffit d’en rechercher les motifs ; presque toujours on trouvera une explication valable, qui excuse l’Académie. Si enfin, au lieu de prendre une liste particulière et de se scandaliser de ce qui s’y trouve comme aussi de ce qui ne s’y trouve point, on prend maintenant toutes les listes dans leur ensemble, on rendra plus de justice à l’Académie. On sapercevra combien, au total, peu de noms glorieux lui ont échappé ; et, d’autre part, loin de s’étonner qu’il y figure tant d’indignes, on admirera plutôt le nombre de grands écrivains qu’elle a encore su admettre, malgré bien des raisons ou des prétextes dont elle pouvait user pour les exclure.


V

J’aurais terminé, s’il ne restait le dictionnaire. Mais peut-on parler de l’Académie sans parler du dictionnaire ? Il a toujours été le travail essentiel de la compagnie ; il est un peu sa raison d’être. C’est aussi un de ces sujets où chacun dit volontiers son mot, mais le dit, il faut l’avouer, assez souvent au hasard. Tâchons de remettre les choses au point.

Une institution littéraire ne subsiste qu’à la condition d’avoir une occupation régulière et un emploi sérieux de son temps ; le désœuvrement lui est bientôt fatal. Les fondateurs de l’Académie ne l’ignoraient pas. Ils lui assignèrent dès ses débuts plusieurs tâches : elle devait rédiger un dictionnaire de la langue française, une grammaire, une rhétorique, une poétique. En réalité, elle ne s’occupa que du dictionnaire. La rédaction des autres ouvrages était chose trop délicate ; il y fallait une certaine unité de composition, et comment conserver cette unité en tra-