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beaucoup plutôt qu’à réduire, le total des admis et, tournant contre les intentions premières, elle finit par accroître ces mauvais choix qu’on voulait diminuer.

Il faut donc chercher d’autres raisons pour expliquer que nos listes ne présentent pas plus de noms de valeur. Mettons tout de suite à part une époque où il était difficile que l’Académie fût bien composée, celle des premières années. On ne savait alors qui choisir ; on ne prenait même pas la peine de voter ; on élisait, un peu au hasard, celui que proposait un parent, un ami. De leur côté, les lettrés en renom n’éprouvuient pas beaucoup d’attrait pour l’institution nouvelle. Balzac, retiré en province, commença par ne point vouloir en faire partie. Voiture, qui consentit à en être, avait trop d’obligations au cardinal pour refuser d’appartenir à un corps dont son maître était le protecteur. Et quant à Ménage, s’il se tint en dehors de la Compagnie, c’est qu’il ne souhaitait guère y entrer : les attaques qu’il dirigea contre elle en sont la preuve. Voilà pour la période des débuts ; mais dans la suite, on ne peut plus invoquer les mêmes argumens. L’Académie est connue, illustre, recherchée, désirée avec passion, et cependant les mauvais choix sont encore nombreux.

D’où cela vient-il ? D’abord de la fâcheuse habitude, qui s’introduisit avec le protectorat de Séguier, d’élire quelques grands personnages pris dans la noblesse ou le. clergé, sans qu’ils eussent aucun autre titre que d’être ducs ou évêques. De même, certaines fonctions de la cour semblèrent inséparables d’un siège académique. Les précepteurs des princes, qui n’étaient pas tous des Bossuet et des Fénelon, se disputèrent la succession des poètes et envahirent la place des gens de lettres. — Mais on peut dire, plus généralement, que, si l’Académie n’a pas toujours su distinguer le mérite, c’est qu’elle « paie tribut, comme les particuliers, à la fragilité humaine[1]. » Quelle difficulté n’éprouvet-on pas à se prononcer sur les ouvrages de l’esprit, à plus forte raison, s’il faut juger des ouvrages que le temps n’a pas encore consacrés ! Jamais on n’est plus exposé, qu’au moment même où ils paraissent, à se tromper sur leur valeur durable. Sans quitter notre époque, qui pourrait dire avec assurance quels sont, parmi les écrivains actuels, ceux qui vivront ou ne vivront pas dans un siècle ? Les découvertes scientifiques s’imposent à tous et en-

  1. D’Alembert, Œuvres (éd. de 1821), II, p. 298 (notes sur l’éloge de Mauroy).