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de quelques rebuffades, l’Académie, tant qu’il vécut, put se recruter et se diriger à sa guise.

Il est vrai que pour l’essentiel elle était entrée du premier coup dans ses desseins. À peine la petite assemblée, devenue « un corps, » avait-elle reçu l’investiture officielle, qu’un esprit nouveau, vraiment, la pénètre. Les regrets que certains éprouvaient des conférences anciennes sont dissimulés. Elle sent qu’elle a désormais un autre rôle à jouer et une mission plus noble à remplir. Presque sans transition elle passe des divertissemens légers, des petits vers ou des fades discours, aux occupations sérieuses concernant le bien public. Ce changement, elle le manifeste par le nom même qu’elle adopte. Au lieu d’imiter les académies italiennes, les Humoristi, les Lincei, les Fantastici de Rome, les Otiosi de Bologne, les Intronati, de Sienne, et de prendre à leur exemple quelque titre particulier, mystérieux ou bizarre, bon pour « un carrousel ou une mascarade[1], » elle s’appelle simplement l’Académie française. Qualification modeste en apparence, en réalité la plus belle, la plus haute, et, comme elle le disait au cardinal, « la plus propre à sa fonction [2]. » Le nom indique ce qu’elle veut faire, et elle ne veut faire rien moins qu’oeuvre nationale : assurer au pays la gloire des lettres. Elle voit encore que tout progrès de la littérature est impossible, s’il n’est précédé d’un progrès de la langue. Il faut donc commencer par tirer celle-ci « du nombre des langues barbares ; » et elle ne doute pas un instant qu’elle ne doive réussir. Ce qui caractérise, en effet, cette génération, c’est la confiance. Les succès obtenus par la France depuis Henri IV, la situation que le pays conquiert en Europe, lui ont donné la conscience de sa force. Les académiciens, qui sont de bons Français, se flattent que, du train dont vont les choses, nos voisins parleront bientôt notre langue ; et comme cette langue est « plus parfaite déjà que pas une des autres vivantes, » elle pourrait bien enfin « succéder à la latine, comme la latine à la grecque[3]. »

Plus parfaite, sans doute ; mais que de défauts encore ! D’abord, elle change trop souvent et trop vite. On s’en plaint à l’étranger

    plus grands ennemis ; ainsi il fut très fâché de cette élection ; on lui offrit de la révoquer ; il eut cette modération de se contenter d’un règlement pour l’avenir. »

  1. Pellisson, dans Livet (ouvr. cit.), I, p. 19.
  2. Pellisson, ibid., I, p. 24.
  3. Pellisson, ibid., 1 p. 21-22.