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conférer aux lettres une éminente dignité. En les rangeant a sous l’autorité publique, » il leur assignait une place dans l’État : de là le devoir qui s’imposait à l’État de s’occuper d’elles et de les protéger. C’était chose nouvelle ; c’est encore chose unique. Dans tous les autres pays, les grands écrivains sont honorés, mais à titre individuel pour ainsi dire, sans que le gouvernement se croie obligé de leur témoigner officiellement sa bienveillance. Ni les Allemands, ni les Anglais n’ont, jusqu’à ce jour, rien de pareil à ce qu’est l’Académie française. À Londres, la Société royale ne contient que des chimistes, des physiciens, des géomètres ; à Berlin, l’Académie des sciences associe aux savans proprement dits des philologues, des historiens, des économistes. Nulle part romanciers, poètes, auteurs dramatiques ne figurent. Les arts utiles, ceux dont on tire des applications matérielles, les divers États s’empressent à l’envi de les encourager. Mais les autres, les arts de pur agrément, leur paraissent sans doute moins indispensables : ils ne servent, en effet, qu’à mettre un peu de beauté dans la vie ! L’honneur de Richelieu, et sa clairvoyance singulière, c’est d’avoir compris que la littérature aussi, pour un pays, est non seulement une décoration, mais une force ; c’est d’avoir deviné, semble-t-il, le surcroît de prestige qu’elle donnerait aux victoires de la France en Europe, et la domination que dans les revers elle lui conserverait encore sur les autres nations. Voilà surtout ce qu’il voulait préparer en créant l’Académie française.

Il était sans doute impérieux de sa nature ; il aimait à dominer et souffrait difficilement la résistance : ce ne fut pas un protecteur commode. Reconnaissons pourtant qu’il n’abusa pas de son autorité autant qu’il aurait pu. Il força les académiciens à faire contre leur gré la critique du Cid, mais il ne les empêcha pas de rendre justice au chef-d’œuvre. Si du projet de statuts qui lui fut présenté il raya « quelques endroits qu’il jugeait devoir être corrigés, » ces endroits furent maintenus, « et le cardinal ne s’y obstina pas davantage[1]. » Il n’aimait pas voir nommer des gens qu’il savait lui être contraires ; lorsqu’une élection de ce genre eut lieu, il en marqua son mécontentement : il ne demanda point qu’elle fût cassée[2]. En somme, au prix

  1. Pellisson, daas Livet, ouvr. cit., 1, p. 24-25 et 27.
  2. Pellisson, ibid., 1, p. 150. « Le cardinal n’aimait point M. de Porchères-Laugier, le regardant comme un homme qui avait eu de l’attachement avec ses