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très naturelle : être admis à s’asseoir sur l’un des quarante fauteuils passait pour la suprême récompense des lettrés. Rien détonnant que Chamfort briguât cet honneur. C’était en 1777 ; il avait trente-sept ans. Son bagage, assurément, ne pesait pas bien lourd. Quelques pièces de vers franchement médiocres, deux éloges de Molière et de La Fontaine, qui valaient mieux, à vrai dire, et dont certaines pages sont même distinguées, enfin une tragédie qui n’avait pas tardé à quitter l’affiche, c’était peu. Mais les titres de ses rivaux étaient-ils plus brillans que les siens ? Il pouvait espérer réussir. Il échoua cependant, et à plusieurs reprises. Ses échecs le mécontentèrent, sans le décourager. Car, — notons tout de suite le trait, — ce grand adversaire de l’Académie, qui devait la combattre plus tard avec passion, mit d’abord à en faire partie une obstination remarquable. Il se présenta trois fois, sans compter dans l’intervalle une quatrième candidature qu’il n’avait pas menée jusqu’au bout : il s’était retiré devant son ami Chabanon, celui-ci ayant déclaré qu’il mourrait de désespoir, si l’Académie ne cédait à l’ardeur de ses poursuites[1]. Le concurrent heureux en 1777 avait été l’abbé Millot, un historien de second ordre pourtant. En 1780, Chamfort était candidat aux deux sièges devenus vacans par la mort de Condillac et de l’abbé Batteux ; cette fois encore, on lui préféra ses rivaux ; on élut le comte de Tressan et Lemierre. Dépité, il se vengea par une épigramme inconvenante. Honneur à l’Académie, disait-il, de cette double élection ; c’est


Couronner par un digne choix,
Et le vice et le ridicule[2].


Malgré cette incartade, il fut enfin nommé l’année suivante, le 5 avril 1781, quand mourut La Curne de Sainte-Palaye[3].

  1. Grimm, Correspondance littéraire, janvier 1778 (éd. Tourneux, XII, p. 37). — Chamfort avait de grandes obligations à Chabanon. Malade en 1771, il se trouvait dans un dénûment complet et n’aurait pu aller se soigner aux eaux de Gontrexéville, si son ami, qui possédait d’ailleurs une fortune personnelle, ne lui avait très généreusement abandonné une pension de 1 200 livres qu’il avait sur le Mercure.
  2. Éd. Auguis, V, p. 224.
  3. L’élection elle-même ne s’était pas faite sans difflculté, comme le prouvent les lignes suivantes d’une lettre inédite de La Harpe dont je dois la communication à l’obligeance de M. Victor Giraud (la lettre est datée de Paris, août 1781) : « Vous avez donc gagné votre procès, écrit La Harpe à son ami Boissy d’Anglas. Je vous en félicite. Chamfort, dont vous me parlez, a eu bien de la peine à gagner le sien, quoique avec toute la protection de la Cour et de la Reine. Son concurrent,