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ne devait attendre de sa charité chrétienne. Avec les conservateurs et les Polonais il a formé une majorité plus homogène assurément que celle que M. de Bülow avait encore la veille, et, après avoir voté l’impôt sur les opérations de Bourse, en dépit des efforts du gouvernement, il a repoussé l’impôt sur les successions. En première lecture, il en avait laissé passer une partie ; mais à la seconde, il a repoussé le projet tout entier. Pas une syllabe n’en est restée, de sorte qu’on doit le considérer comme définitivement enterré. Le gouvernement, s’il s’obstine malgré tout à le présenter une fois de plus, ne peut le faire que dans une session nouvelle. Pour le moment, l’échec est complet, et tout ce qui avait précédé le rend très retentissant.

Lorsque le vote a été acquis, l’émotion, partout, a été très vive. Les uns croyaient que le chancelier allait tirer de sa poche un décret qui dissoudrait le Reichstag ; d’autres espéraient que la discussion continuerait, et que c’est seulement lorsqu’elle serait finie que le chancelier verrait ce qu’il devrait faire ; d’autres enfin parlaient de sa démission. Mais le chancelier n’est responsable que devant l’Empereur, et on se demandait, dans le cas où il lui offrirait sa démission, si celui-ci l’accepterait. La veille même du vote, l’Empereur n’avait-il pas, dans un discours public, pris fait et cause pour le système d’impôts proposé et défendu par son chancelier, et exprimé l’espoir que le Reichstag aurait le bon sens et le patriotisme de le voter ? En présence de ces solutions contradictoires, l’esprit public restait incertain. Une note officieuse, publiée dans les journaux, ne lui avait apporté qu’une lumière clignotante, qui ne lui permettait guère d’y voir plus clair. L’avis le plus répandu était que le chancelier ne se démettrait pas, qu’il attendrait la fin du débat. L’événement a démenti la première partie de ces prévisions ; le prince est parti pour Kiel, où l’Empereur est en ce moment, et il a offert sa démission : on ignore encore ce qu’a décidé le souverain. Quoi qu’il en soit, la situation de M. de Bülow est assurément très ébranlée ; il semble difficile qu’elle se l’établisse d’une manière complète et durable. Rarement, en effet, la barque gouvernementale a été secouée avec plus de force ; rarement surtout l’orage s’est déchaîné sur le pilote avec plus de violence. Toutefois, si l’Empereur reste d’accord avec son gouvernement, si l’amertume de certains souvenirs récens est dissipée chez lui, s’il continue de soutenir le chancelier, nous assisterons à des combinaisons nouvelles qui donneraient en France et y seraient même impossibles, mais qui peuvent fort bien se réaliser en Allemagne. L’Allemagne, en effet, n’a pas le gouvernement