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deux élections successives. Est-ce à son mérite qu’il doit cette longévité exceptionnelle ? Ne serait-ce pas plutôt à la maladresse et aux divisions de ses adversaires, ou plutôt encore au sentiment secret qu’a la majorité de son incapacité à lui donner un successeur ?


Si nous avons nos difficultés financières, l’Allemagne et l’Angleterre ont les leurs : elles menacent même d’amener en Allemagne une crise fort grave, puisque la situation du chancelier de l’Empire s’en trouve compromise. Dans les deux pays, il manque au budget, pour le remettre en équilibre, une somme d’un demi-milliard environ. Rarement l’histoire financière a présenté un pareil phénomène : il ne s’était même jamais produit dans un pays qui n’avait pas éprouvé quelque immense secousse, une guerre malheureuse par exemple. Comment l’Angleterre, si habile et autrefois si prudente dans le maniement de ses finances ; comment l’Allemagne, si méthodique, en sont-elles venues à un pareil point ? Deux voies principales les y ont conduites, les réformes sociales et les dépenses de guerre.

L’Angleterre aurait voulu s’arrêter dans les dépenses militaires, mais elle ne l’a pas pu. On sait de quelles illusions le gouvernement libéral s’est bercé pendant un temps à ce sujet, et quelles démarches officieuses et officielles il a faites auprès du gouvernement allemand pour l’amener à ses vues ; on sait aussi combien péremptoire a été la fin de non-recevoir du gouvernement impérial. L’Angleterre a dû prendre son parti de créer de nouveaux cuirassés, quelque chers qu’ils fussent. Elle a même éprouvé un jour, subitement, comme par le coup d’une révélation imprévue, une émotion profonde, angoissante, presque tragique, à la nouvelle que l’Allemagne, après s’être mise en mesure de construire des cuirassés aussi rapidement qu’elle, usait fiévreusement de cette faculté. On peut dire sans exagérer qu’un frisson a couru sur tout le pays. La suprématie maritime de l’Angleterre est pour elle une question de vie ou de mort. Le principe longtemps admis, et toujours observé, a été celui du double pavillon, en vertu duquel la flotte britannique doit avoir toujours une certaine supériorité sur les deux plus grandes flottes réunies du reste du monde. Hier encore, le gouvernement libéral l’affirmait comme l’avaient fait ses devanciers : aujourd’hui, ce dogme, qu’on croyait intangible, commence à être ébranlé dans son esprit. M. Asquith a expliqué dans un discours récent que le respect du principe pouvait être assuré autrement que par un total supérieur de quantités matérielles, et qu’il fallait aussi faire entrer en ligne de compte les qualités morales. Il a de plus