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lui-même apportées à la tribune. Si c’est peut-être le commencement d’une période nouvelle, nous regretterons l’ancienne. Au surplus, peut-être M. le ministre de l’Instruction publique, qui accuse ses adversaires d’obéir à un mot d’ordre, en suit-il un lui-même ? Nous ne serions pas surpris de nous réveiller un de ces matins en face d’un grand complot clérical, qui diminuerait de beaucoup les difficultés d’une autre sorte au milieu desquelles le gouvernement se débat et qui, à la veille des élections, donnerait une direction nouvelle aux esprits dociles, c’est-à-dire à la grande majorité des esprits.

Les difficultés au milieu desquelles le gouvernement se débat ne constituent pourtant pas pour lui un péril bien sérieux. Le gouvernement continue de paraître solide devant une Chambre impuissante à le renverser. Nous annoncions, il y a quinze jours, une grande interpellation sur la politique générale. Elle ne nous semblait pas très redoutable ; les interpellations sur la politique générale n’aboutissent habituellement à rien, en vertu du vieil axiome : Qui trop embrasse mal étreint. Mais l’interpellation actuelle est particulièrement inoffensive. Que dire de la méthode de discussion que la Chambre lui a appliquée et qu’elle a d’ailleurs étendue à la plupart de ses débats ? C’est celle des propos interrompus. On commence une discussion un jour, on en remet la suite à huitaine, ce qui n’est certainement pas la manifestation de passions bien ardentes : elles ne sont pas bien ardentes lorsqu’elles sont si patientes. Le premier jour de l’interpellation a été marqué par un discours éloquent de M. Gauthier (de Clagny), un des meilleurs qu’il ait prononcés, réquisitoire pressant et à peu près complet contre les pratiques du gouvernement actuel et la corruption qui en est le principe actif. Mais que restait-il du discours de M. Gauthier (de Clagny) au bout de huit jours ? Il faut moins de temps pour effacer l’impression d’un discours parlementaire. M. Gauthier (de Clagny) avait parlé un vendredi ; le vendredi suivant, la Chambre a entendu M. Jaurès et elle l’entendra encore le vendredi d’ensuite. M. Jaurès est à coup sûr un grand orateur, grand dans tous les sens du mot, mais il ne sait pas se borner ; son éloquence n’a pas de digues. La pompeuse harangue qu’il a commencée est un autre réquisitoire contre le ministère, plus virulent encore que celui de M. Gauthier (de Clagny), pareillement inefficace. M. Clemenceau est un heureux homme ! Personne n’a renversé autrefois plus de ministères que lui, et aucun ministère n’aura duré plus que le sien. Le voilà en passe de faire les élections de 1910 après avoir fait celles de 1906 : il n’était encore arrivé à aucun ministre de la République de faire