une marche suffisante des services. La compression toutefois a une limite. On s’arrête à une troisième rédaction. Le ministre va trouver son collègue qui demeure inflexible. Le président du Conseil, mis au courant, ne voit que le côté politique. Bref, le successeur de Colbert rentre à son cabinet, bougonnant s’il a pris son rôle à cœur, tout résigné s’il n’est qu’un politicien sceptique. On en vit un se faire un malin plaisir des déboires survenus à son département. Lui-même y contribuait pour la plus large part.
D’année en année, on retarde ainsi l’exécution des programmes, la confection des approvisionnemens, etc. : tout ce qui ne se voit pas trop et se peut rejeter sur l’avenir. Or on a calculé la somme des rabais imposés depuis dix ans de la sorte : elle égale à peu près le chiffre de 225 millions, indispensable aujourd’hui pour parer aux déficits matériels les plus crians. Il est affligeant de constater que, pour aboutir à ces résultats, la troisième République a dépensé pour sa marine une dizaine de milliards au bas mot. L’Empire allemand, à moins de frais, a produit en fin de compte une flotte plus redoutable. Il y a deux ans seulement que son budget naval surpasse le nôtre. On n’en a pas, il est vrai, fait le même usage pour la conquête ou la police coloniale : nous payons notre empire. L’Allemagne a pu tout consacrer à l’arme de la grande guerre ; et le poids mort des traditions, des organisations anciennes ne pesait pas sur elle. Mais de 1901 à 1908, ses dépenses pour la marine se sont accrues de 73 p. 100. Dans le même intervalle, l’augmentation était en Angleterre de 24 p. 100, en Espagne de 33, en Italie de 36, au Chili de 80, aux Etats-Unis de 84, en Suède de 93, au Japon de 97, au Brésil de 125, en Autriche de 160. En France, elle était de 6 pour 100. Ainsi dans le progrès général, figuré par cette simple statistique, nous nous sommes laissé distancer, en particulier par notre voisine de l’Est. Et c’est sans doute par l’effet d’une mauvaise utilisation de nos services maritimes, mais c’est aussi par le jeu d’un phénomène en quelque sorte mécanique. Il en est du développement d’une institution comme du mouvement imprimé à un corps pesant, dont l’accélération se proportionne en même temps aux forces qui l’entraînent et à son peu de masse propre, qui fait sa mobilité. Notre marine, surchargée de complications traditionnelles et de besognes diverses, était lourde à pousser en avant, et nous n’y avons consacré que peu de volonté, peu d’attention, peu d’argent : elle ne pouvait progresser.