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giques par un savoureux volume sur Flaubert, ou un élégant et solide André Chénier, ou une intéressante, vivante et instructive et amusante Histoire de la littérature française, ou encore ces charmans volumes de moraliste ou de philosophe qui s’intitulent Pour qu’on lise Platon, En lisant Nietzsche, Amours d’hommes de lettres… Je n’ai rien dit de tous ces livres, dont le plus vieux remonte à dix ans, et je renonce à en parler, à suivre dans tous ses méandres cette pensée toujours en éveil et qui jamais ne s’exerce à vide, que tout sollicite et qui ne sait se refuser à rien, et qui épanche prodigalement, sans compter, les traits d’esprit elles jeux de mots, les saillies imprévues, mais, plus que tout le reste, les observations sages, lumineuses et pénétrantes, les vues ingénieuses, suggestives, les conseils de bon sens et de souriante raison. Le mot de Michelet sur Dumas père s’appliquerait assez bien à cette verve toujours jaillissante : c’est une force de la nature qu’un pareil écrivain. Que de fois, — et non pas à tous égards, heureusement, — il m’a fait songer à ce Diderot qu’il connaît si bien, et dont il n’a pu s’empêcher de parler avec une sévérité tempérée de quelque sympathie : « Et il est laborieux comme un paysan, fournit sans interruption pendant trente ans un travail à rendre idiot, a comme une fureur de labeur, ne trouve jamais que sa tâche est assez lourde, écrit pour lui, pour ses amis, pour ses adversaires, pour les indifférens, pour n’importe qui, bûcheron lier de sa force qui, l’arbre pliant, donne par jactance trois coups de cognée de trop. » Rappelons-nous aussi son mot significatif sur Voltaire : « C’était simplement un homme très instruit, se tenant au courant, bien renseigné, qui réfléchissait très vite, qui a vécu longtemps, et qui écrivait deux pages par jour, ce qui est très considérable, non pas stupéfiant. » Il faut, pour avoir le droit de parler ainsi, écrire soi-même cinq ou six pages par jour ; et c’est cela qui est stupéfiant.

Que toute cette besogne, souvent excellente d’ailleurs, de journaliste, ne nous donne pas le change sur les côtés, je ne veux pas dire vraiment sérieux, mais tout de même plus graves, de cette pensée, sur les hautes et durables portions de celle œuvre. Une quarantaine de volumes sont là pour témoigner, aux yeux de ceux qui savent lire, de ces quarante années de vie intellectuelle. « Dédaigneux de la musique, dédaigneux de la couleur, » spirituel, trop spirituel quelquefois, mais admirable-