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qui, toute respectable qu’elle lui paraisse, ne laisse pas d’être très librement critiquée et rectifiée par lui. « Quand les auteurs, écrit-il, quand les auteurs, parfaitement vénérables, de nos deux Déclarations des droits de l’homme ont rédigé ces très belles chartes de liberté, d’abord ils ont tout brouillé et confondu, ensuite ils ont ici multiplié les droits, et là ils les ont limités et en ont oublié. Leur œuvre est un peu confuse en même temps quelle est incomplète. » Et c’est à débrouiller cette confusion et à combler ces lacunes que M. Faguet a employé ses rares facultés dans ce livre qui a, je crois, ses secrètes préférences, et qui est bien, je n’ose dire son chef-dœuvre, mais, en tout cas, l’un de ses chefsd’œuvre. Qu’il ferait bon vivre en France, si l’on y était gouverné par ces « modérés très énergiques » dont il souhaite quelque part l’avènement, et suivant les principes du libéralisme de M. Faguet ! Car, tout libéral qu’il soit, son libéralisme n’est pas, comme chez tant d’autres libéraux, synonyme d’anarchisme. Il n’est pas d’idée dont il soit plus pénétré que l’homme à l’état d’être isolé, n’existe pas, et qu’il n’existe, à proprement parler, que dans, par et pour la société. « Pour moi, — écrit-il, et ce sont presque les premières lignes de son livre, — l’homme est né en société, puisqu’on ne l’a jamais vu autrement qu’en société, pareillement aux fourmis et aux abeilles, et, comme né en société, il est né esclave, ou tout au moins, très obéissant. » Nous voilg, bien loin des purs individualistes, ou même des individualistes mitigés, comme l’était par exemple Taine. Pour Tuine, on le sait, l’État est en quelque sorte un simple chien de garde : à l’égard des individus qui composent le corps social, il n’a aucun droit ; il n’a que des devoirs : et son rôle est purement négatif. Pour M. Faguet, l’État est autre chose : son rôle est vraiment positif ; il a non seulement des devoirs, mais des droits. « Il n’y a pas de droits de l’homme, déclare-t-il expressément. Il y a une société. Cette société dont nous vivons et sans laquelle nous ne pourrions pas vivre, a tous les droits… La société a tous les droits, d’abord parce qu’elle les a, puisque personne n’en est pourvu ; ensuite, parce que, ne les eût-elle pas, ce sera, dans la pratique, absolument comme si elle les avait. » « Seulement, — s’empresse-t-il aussitôt d’ajouter, — j’estime qu’elle ne doit user que de ceux qui lui sont utiles et s’abstenir soigneusement de ceux dont l’exercice lui serait nuisible et n’irait qu’à satisfaire ou’ flatter ses passions. » Telle est la for-