Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 52.djvu/124

Cette page a été validée par deux contributeurs.

libéral. » Si quelques-unes de ses conclusions sont favorables à la religion, M. Faguet n’a pas assurément la faiblesse de s’en alarmer, mais au fond, il n’en a cure. Peu d’esprits, je crois, ont été plus détachés des croyances confessionnelles. « Je n’ai aucune disposition mystique, » déclare Taine quelque part dans sa Correspondance. Ce qui n’était qu’à moitié vrai de Taine l’est, je crois, entièrement de M. Faguet ; et quand M. Faguet, parlant de Taine, dit : « Personne ne fut moins religieux, » le mot s’applique surtout à M. Faguet lui-même. Il a pour les religions en général, et en particulier, comme il l’a dit d’un autre[1], « pour le catholicisme le respect bienveillant qu’ont eu pour lui la plupart des penseurs et des moralistes du XIXe siècle ; mais ce n’est pas pour un raffermissement du catholicisme en France qu’il travaille. » Il estime que l’état religieux est un état plutôt sain de l’esprit, et d’autre part, il sait trop quels étroits rapports la morale entretient avec la religion pour verser jamais dans l’anticléricalisme. Pour son propre compte, il est tout simplement, comme l’était déjà celui de tous nos grands écrivains qu’il aime peut-être le mieux, à savoir Montaigne, il est areligieux, et il l’est, pour la même raison qu’il est positiviste, parce qu’étant épris d’« idées claires et distinctes, » la théologie lui fait l’effet d’une métaphysique aussi aventureuse que l’autre. « L’homme est un animal mystique, écrira-t-il dans son étude sur Bayle. Il aime ce qu’il ne comprend pas, parce qu’il aime à ne pas comprendre. » M. Faguet, lui, n’aime pas à ne pas comprendre. « On me connaît assez peut-être, — disait-il tout récemment encore, à propos d’Emerson, — pour bien penser qu’encore que je ne sache où jeter l’ancre, assurément je la jette encore moins qu’ailleurs dans ces nuages[2]. « Je sais, ou crois savoir ce que l’on peut répondre ; mais il ne s’agit pas de réfuter M. Faguet, il s’agit de le définir. Et s’il est nécessaire, ce qui n’est peut-être pas entièrement prouvé, de n’avoir aucune espèce de parti pris pour avoir le droit d’aborder certaines questions, on ne pourra certes accuser M. Faguet de les aborder avec un parti pris religieux.

Et c’est précisément là ce qui fait la haute valeur et l’intérêt

  1. M. Paul Desjardins, à propos du Devoir présent. Tout l’article qui marque d’expresses, et d’ailleurs très justes réserves, auxquelles l’avenir devait donner raison, est à relire pour préciser, sur cette question religieuse, qu’il n’aborde pas très volontiers en face, la pensée de M. Faguet (Propos littéraires, 4e série, p. 11).
  2. Revue latine du 25 juin 190S, p. 361.