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au cours de ses articles sur Voltaire, Rousseau, Diderot, par exemple, avait déjà supérieurement commencé, ce que Taine, quinze ans auparavant, avait en partie fait dans l’Ancien Régime, M. Faguet, librement, à sa manière et à son heure, le refaisait à son tour : il dénonçait fortement et en bloc ce que Brunetière devait appeler plus tard, au seuil de ses études sur l’Utilisation du positivisme, « l’erreur du XVIIIe siècle, » qui est, essentiellement, d’avoir rompu avec la tradition de « cinq ou six siècles de civilisation et de culture nationales. » Et à discuter dans le détail les paradoxes que les principaux représentans de ce « siècle enfant » ont jetés dans la circulation, la lucidité spirituelle de sa droite raison s’élevait parfois jusqu’à une généreuse éloquence :

S’il est vrai, non d’une vérité de théorie, de spéculation et de souper, mais vrai historiquement, et dans le réel, que les hommes, les hommes en chair, les hommes qui vivent et souffrent, ont reçu un accroissement de souffrance du christianisme et des notions trop subtiles et dangereuses pour eux à manier qu’il apportait, — ce que j’admets qu’on peut prétendre, — si cela est vrai, ou si l’on en est convaincu, il ne s’agit pas de réserver cette vérité à une aristocratie de beaux esprits, et d’en écrire des Ingénus ; il faut sauver ces hommes qui pâtissent et les arracher à leur torture. Dire : il faut un Dieu… pour le peuple, ce n’est pas trop loyal ; mais j’admets cela. Dieu consolateur vague, Dieu rémunérateur et punisseur lointain, que vous n’y croyiez guère et que vous vouliez que les simples y croient, c’est un dédain, peut-être une pitié ; ce n’est pas une cruauté. Mais dire : l’histoire, la réalité terrestre, est atroce à partir du Christ : il convient qu’elle cesse pour nous, et il nous est utile que pour les humbles elle continue ; c’est cela qui est monstrueux.

Et ce n’est pas monstrueux, parce que c’est de Voltaire. Il est trop léger pour être cruel. Il dit des choses énormes en pirouettant sur son talon…


On cria naturellement au « cléricalisme. » En France, on crie toujours au cléricalisme, toutes les fois que certaines « vérités » officielles sont atteintes : c’est le « tarte à la crème » de tous ceux qui ont gardé une mentalité « primaire. » Il était pourtant fort aisé de voir que l’auteur des très beaux articles sur Bayle, — « son cher Pierre Bayle, » — sur Montesquieu, sur Buffon, même sur Voltaire[1], n’était rien moins qu’un fanatique. Loin d’être l’œuvre d’un « clérical » ou d’un « réactionnaire, » ce livre sur le Dix-huitième siècle était, manifestement, l’œuvre d’un très « libre esprit, » et même d’un « vieux

  1. L’article sur Voltaire allait être suivi, à quelques années d’intervalle, d’un livre sur Voltaire du même auteur, où il est permis de trouver, cette fois, un peu trop d’optimisme.