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De ces cent cinquante volumes peut-être qui constituent actuellement l’œuvre écrite, sinon publiée, du plus fécond des écrivains contemporains, une quarantaine seulement en représente aujourd’hui la partie centrale et portative. Non qu’il n’y ait, parmi les innombrables articles que la verve intarissable de M. Émile Faguet répand sans compter un peu partout depuis quarante ans, et qu’il néglige de recueillir, bien des idées justes, fines, pénétrantes, bien des traits, — on en relèvera quelques-uns, — qu’il y aurait tout profit à ne pas laisser perdre. Mais qui pourrait se vanter, à part M. Faguet lui-même, d’avoir lu tout ce qu’a écrit M. Faguet ? Il faut se borner à l’essentiel ; et l’essentiel, n’en doutons pas, est dans ces quarante volumes de critique où, au total, se reflète assez fidèlement l’une des vies intellectuelles les plus complètes de notre temps.

Aimer les Lettres au temps de Louis XIV, ce pouvait être, c’était même le plus souvent s’intéresser à fort peu de chose en dehors des Lettres proprement dites : il est certain que l’horizon d’un Boileau ou d’un Racine était assez borné. Depuis Voltaire, on a un peu changé tout cela, et le véritable homme de Lettres, de nos jours, est ouvert à toute sorte de questions et de préoccupations. C’est bien le cas de M. Émile Faguet quoi il ne soit capable de s’intéresser, et dont il ne soit capable de raisonner fort congrûment. C’est essentiellement un curieux, et son avidité de voir, de lire, de penser et d’écrire est incomparable : « Je ne puis pas voir un livre, nous dit-il, sans avoir envie de le lire, et je ne puis pas le lire sans mettre du crayon sur les marges, — cela se produisait bien avant que je ne fusse critique professionnel, — et je ne puis pas repasser en revue mes coups de crayon sans avoir envie de les rédiger pour en avoir une idée nette. » De toutes ces lectures qui, depuis sa plus tendre jeunesse, ont sollicité l’attention de ce souple et avide esprit, quelques-unes, comme bien l’on pense, ont été décisives. Lamartine, — cela est important à savoir, — a été lu avant Hugo, et Musset un peu plus tard, vers la dix-huitième année. Les livres de Taine et Renan, lus au fur et à mesure qu’ils paraissaient, ont eu, comme sur tous les hommes de la même génération, une très forte action sur cette jeune pensée en quête d’aliment spirituel : elle se cabrait parfois contre la maîtrise impérieuse de Taine ; elle accueillait sans résistance le charme insinuant de Renan. La Vie de Jésus, lue vers la seizième année, au lendemain d’une