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Mais, ajoute-t-il, « personne n’a ri : car le fait est que la musique n’avait rien de risible. » Non, certes, il n’y a « rien de risible » dans les divers morceaux de cette puissante et superbe symphonie, l’une des plus imprégnées de douleur qu’on ait écrites jamais ! Quelle qu’ait pu être l’intention de Joseph Haydn en composant un morceau qui n’est, du reste, qu’une manière d’appendice au véritable finale de la symphonie des Adieux ; — qu’il ait désiré obtenir du prince Esterhazy le maintien des musiciens de son orchestre ou simplement la permission, pour ceux-ci, d’aller rejoindre leurs femmes, — cette intention a peut-être de quoi nous amuser par sa naïveté, mais assurément sans que l’auteur y ait joint le moindre élément de plaisanterie.

Les quatre morceaux principaux des Adieux, — si nous mettons à part le petit adagio ajouté au finale, — forment un ensemble pathétique non moins homogène, et d’une intensité d’émotion non moins saisissante que la sonate ou les symphonies que je viens de citer. La seule différence est que, ici, pour apitoyer son auditeur princier, Joseph Haydn a imaginé quelque chose comme un « drame symphonique, » dans le genre des ouvertures de Coriolan ou de Léonore. Au lieu de n’exposer qu’un sentiment unique, directement issu de son propre cœur, il a, pour ainsi dire, constamment mélangé ou opposé deux modes d’expression, dont l’un signifie une crainte et une inquiétude frémissantes, se traduisant en rythmes syncopés sous des modulations chromatiques ou de vives réponses de contrepoint, tandis que l’autre a plus précisément la portée et l’allure mélodique d’une plainte, s’élevant de l’orchestre vers le prince Esterhazy pour le conjurer de prendre en compassion la tristesse et l’émoi de ses serviteurs. Mais à quoi bon essayer une interprétation verbale toujours impossible ? Qu’on lise, dans un arrangement pour le piano à quatre mains, ce beau drame d’une vérité et d’une passion immortelles ! Qu’on observe, par exemple, vers le milieu du premier morceau, la façon dont une poussée de plus en plus frénétique d’harmonies éplorées s’interrompt, tout d’un coup, après être montée à son paroxysme, pour se transformer en un doux chant de violon, tout pénétré de ferveur suppliante ! Ou bien, dans le premier adagio, que l’on considère l’incomparable variété des nuances psychologiques d’un même « état d’âme, » et tout ce que la simplicité voulue du langage comporte d’adresse délicate à les définir !

Encore cette symphonie ne diffère-t-elle pas à ce point des précédentes, par sa destination et son caractère, que nous ne puissions la tenir pour une continuation immédiate de la tendance qu’elles nous ont