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et s’avançant d’un pas si assuré dans sa large voie ! Déjà, durant l’année 1771, nous voyons surgir une sonate de clavecin en ut mineur[1], qui nous arrive seule, — au lieu de se rattacher à une série, suivant l’usage alors à peu près absolu, — et dont l’accent désolé, maintenu obstinément jusque dans le solennel andante con moto en la bémol majeur, n’a plus rien de commun avec la tristesse vague, et comme abstraite, des quelques morceaux mineurs des œuvres précédentes. Et puis, au sortir de cette sonate qui semblait bien nous offrir déjà les premiers échos d’une douleur personnelle, nous découvrons côte à côte, dans le catalogue des symphonies de la fin de 1771 et de toute l’année 1772, trois (ou peut-être quatre) grandes-œuvres en des tons mineurs, accompagnées encore de deux autres (en si et en sol majeurs) dont la puissance expressive et la bizarrerie ne sont guère moins éloignées de tout ce que nous présente le même catalogue avant comme après cette année 1772[2] !

Il faut lire, dans leur partition ou dans une réduction au piano, ces symphonies mineures du jeune Joseph Haydn pour se rendre compte de la prodigieuse intensité de souffrance qu’elles chantent, ou plutôt sanglotent et gémissent, devant nous. L’une, en mi mineur, est connue sous le nom de Symphonie Funèbre, sans doute parce que l’auteur, quarante ans plus tard, a demandé que l’on en jouât un morceau à son enterrement. Dès les premières notes, un cri angoissé jaillit, un cri de détresse haletante et fiévreuse, qui se poursuit jusqu’à la fin du premier morceau, tantôt clamé à l’unisson, tantôt réparti aux divers instrumens en un simple et brutal contrepoint qui en accroît l’effet ; et c’est la même détresse affolée, mais plus fiévreuse encore, et avec une sorte de sauvagerie dans la hâte frémissante de son mouvement, qui soudain nous ressaisit au début du finale, après le murmure plus résigné de l’andante majeur et l’étrange dialogue en canon tenant lieu du menuet. Évidemment accablé sous le poids d’une émotion très violente, le musicien ne trouve plus le loisir de diviser ni de varier ses « sujets, » non plus que d’élaborer leurs élémens, ou de combiner d’ingénieux artifices d’instrumentation. Au point de vue du « métier, » cette symphonie et la plupart des suivantes n’ont point la richesse technique de maintes œuvres qui

  1. C’est le no 14 de l’édition Litolff.
  2. On pourra trouver des réductions de ces symphonies pour le piano à quatre mains dans l’édition Litolff (symphonie en mi mineur, no 36 ; symphonie des Adieux, no 28 ; symphonie en sol, no 40), et dans l’édition Rieter-Biedermann (symphonie en fa mineur, no 1, et symphonie en si, no 3). Il se pourrait, en outre, que la symphonie en ut mineur (Litolff, no 31,) fît également partie de la même série : aussi bien Mozart doit-il l’avoir connue déjà au début de 1773.