Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/945

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

L’impression la plus caractéristique qui ressort de la lecture des quarante premières symphonies de Haydn, composées entre 1759 et 1770, est une impression très marquée de force et d’énergie viriles, aussi différentes que possible de notre conception habituelle de l’œuvre du maître. Sous de nombreuses modifications de style et de procédés, l’inspiration de ces quarante symphonies demeure sensiblement la même : un effort continu pour exprimer, par des moyens de plus en plus « modernes, » des émotions à la fois très simples et très vigoureuses, telles qu’on peut les attendre d’un robuste paysan allemand, étranger aux subtilités du nouveau goût mondain. L’imitation même des récens compositeurs italiens, et, en particulier, du Milanais Sammartini, qui se trahit à nous de la manière la plus indéniable aux environs de 1764, ne suffit pas à détourner le jeune homme de la poursuite du même idéal de beauté un peu rude, mais pleine de franchise et d’ardeur juvénile. Joseph Haydn a. beau multiplier et séparer ses « sujets » mélodiques, il a beau enrichir sans cesse son orchestration, soit en affranchissant l’alto de sa soumission à la basse, ou bien en assignant un rôle plus actif et plus libre aux instrumens à vent : la signification intérieure de toutes ses premières symphonies ne change pas, au fur et à mesure de ces progrès de sa langue musicale. D’année en année, le maître de chapelle d’Eisenstadt, puis d’Esterhaz, continue à exprimer des sentimens d’une teinte assez uniforme, et d’ailleurs si absolument dépourvus de l’élégance, plus ou moins maniérée, de ses œuvres suivantes, que nous aurions peine à reconnaître, par exemple, l’auteur de l’Ours ou de la Surprise dans ce savant et sérieux symphoniste qui nous apparaît tâchant à enrichir la musique d’orchestre des méthodes raffinées d’élaboration thématique que lui a enseignées son seul maître véritable, l’austère Philippe-Emmanuel Bach. Parfois, l’une des symphonies est dans un ton mineur ; et on peut être certain que Joseph Haydn ne manque pas d’adapter à ce ton une inspiration sentimentale plus sombre et d’une gravité plus mélancolique, surtout lorsqu’il destine son œuvre à être exécutée dans la chapelle du château princier, pendant la semaine sainte ou à l’occasion d’un anniversaire : mais, jusque dans ces ouvrages en mineur, nous continuons à sentir qu’aucune passion très profonde ne consume le cœur de l’habile musicien, tout entier à son rêve de renforcement et de « modernisation » du langage orchestral.

Or, voici que, tout à coup, la liste des symphonies de l’année 1772 nous indique un bouleversement complet dans cette création jusqu’alors si tranquille, si unie sous la diversité de sa forme extérieure,