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d’un mot : « La santé, ni la force dont jouit un mendiant ne sont pas des raisons pour le condamner aux galères[1], » et, dans le même temps, il mande à tous les subdélégués d’occuper les renfermés, de « faire couper du chanvre aux hommes et filer du lin aux femmes. » Puis, au printemps, il accourt dans sa généralité ; tout paraît y convier les hommes à la liberté et à la vie facile : l’herbe onduleuse des blés, la vigne en fleurs annoncent l’abondance des moissons et des vendanges prochaines ; parfumée et diaprée, la Limagne semble un paradis, où il y aurait autant d’élus que d’appelés. Montyon entend cette leçon des choses. Il manifeste son désir de ne conserver dans les dépôts que les vagabonds dangereux, « ceux qui mettent perpétuellement le laboureur à contribution ; » sous prétexte de favoriser la fauchaison, et moyennant la promesse faite par les parens des renfermés de leur procurer du travail, il multiplie les élargissemens et ferme les yeux sur les évasions[2]. Enfin, le voilà qui harcèle ses subdélégués, ses commis et généralement tous ceux dont il redoute les sévérités maladroites ; au mois de mai 1760, on lui a présenté la liste des mendians détenus dans chaque élection ; après examen, et sans retard, il marque à Lambert, son nouveau premier commis : « Les six premiers mendians compris dans l’état du dépôt de Saint-Flour y sont depuis trop longtemps ; écrire pour en savoir les raisons ; ne pas manquer de les relâcher au moment de la moisson[3]. » Un peu plus tard, le 9 septembre, Louis Pissis, exempt de la maréchaussée à la résidence de Brioude, « ayant fait rencontre, dans ladite ville, d’un quidam se disant frère de l’ordre de Sainte-Camille, paroisse de Saint-Laurent en Piémont, âgé de soixante-huit ans, possédant un âne et une besace, et faisant la quête comme religieux[4], » — l’arrête, saisit ses papiers et l’envoie en prison. Montyon voudrait bien élargir ce digne quêteur et son âne ; mais, vu leur qualité d’étrangers, il est contraint d’en référer à M. de Choiseul qui ne répond pas. Si bien que, le 3 novembre, le frère Nicolas continue de marmonner et gémir dans Brioude, au fond d’une cellule assurément fort monastique, mais peut-être un peu étroite, au gré de son esprit aventureux. « Je viens

  1. Archives du Puy-de-Dôme, C. 1096.
  2. Ibid., C. 1108.
  3. Ibid., C. 1118.
  4. Ibid.