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Morellet ajoute : « Cela était vrai[1]. » Mais si les délicats témoignaient quelques scrupules au sujet de ces violences, il est bien certain qu’elles plaisaient au plus grand nombre, surtout condensées, comme elles l’étaient, en une formule rapide et marquées d’un trait incisif. Telle était la manière ordinaire de Chamfort ; selon Rœderer[2], cette manière est la bonne. Les vérités les plus importantes se perdent, quand elles sont noyées dans des écrits volumineux. Il faut, pour qu’elles produisent leur effet, qu’une phrase énergique les dégage, les isole, leur donne leur relief, « comme un métal précieux qu’on met en lingot, qu’on affine, auquel on imprime sous le balancier » des caractères qui ne s’effacent plus. « Chamfort, continue Rœderer, n’a cessé de frapper de ce genre de monnaie et souvent il a frappé de la monnaie d’or. Il ne la distribuait pas lui-même au public ; mais ses amis se chargeaient volontiers de ce soin. » Il en a cependant transmis directement quelque chose à la postérité. Ses Maximes, écrites au sortir des salons, nous renvoient l’écho immédiat de sa parole parlée. En lisant l’ouvrage, il nous semble l’entendre lui-même, cet homme « toujours en état d’épigramme[3], » ce mordant, sarcastique, mais bien spirituel causeur. Nous y retrouvons encore aujourd’hui les qualités qui le rendaient si brillant dans le monde.


III

Ce qu’il y a de tout à fait surprenant, c’est que ces qualités ne sont pas dans ses autres ouvrages. Rien chez lui, ni ses poésies, ni ses discours académiques, ni ses pièces de théâtre, ne ressemble aux Maximes et Pensées. Il suffit, pour s’en convaincre, d’un coup d’œil jeté sur ses œuvres.

On ne peut pas douter qu’il n’ait songé, dès qu’il eut quitté le collège, à tenter la fortune des lettres. C’était le rêve de presque tous les jeunes gens, quand ils n’avaient pour toute ressource qu’une bonne instruction et qu’ils devaient se faire eux-mêmes leur place dans la société. S’ils montraient quelque talent, comme

  1. Mémoires de Morellet, t. II, ch. II, p. 21 (Paris, Ladvocat, 1821).
  2. Article déjà cité du Journal de Paris, dans Auguis, V, p. 346.
  3. C’est ainsi, selon lui, que doit être « l’honnête homme, détrompé de toutes les illusions. » Ed. Auguis, I, p. 410.