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le théâtre ; tout ce monde qui emplit la salle regarde, écoute, rit ou s’émeut, comme au théâtre, et sur son banc, pour peu qu’il y ait quelques dispositions, l’enfant est comme un acteur sur les planches. Tout cela n’est pas très heureux. Il reste cependant que les enfans ne sont plus mêlés, comme ils l’étaient jadis, aux adultes, hommes et femmes, dont ils entendaient, — avec quelle curiosité ! — raconter les méfaits : en outre chacun d’eux comparaît seul, de telle manière qu’il n’a pas l’occasion de s’instruire par le récit des exploits d’un autre. Il reste encore que ces trois magistrats, qui, tous les lundis de l’année, ne jugent que des enfans, prennent l’habitude de ces justiciables, si différens des autres. Il reste enfin qu’aidés par les représentans de patronages, les magistrats peuvent choisir la mesure la plus capable d’assurer le relèvement du petit prévenu. La diversité des mesures attire tout de suite l’attention, et c’est peut-être le meilleur résultat de cette juridiction. Ses avantages se résument en ceci : elle est spéciale aux enfans ; elle facilite les mesures les plus variées et notamment celle de la liberté surveillée.


II

Comment en est-on venu à consacrer ainsi, exclusivement, aux enfans, l’audience d’une Chambre correctionnelle, alors que nos Codes établissent pour tous, mineurs comme adultes, la même juridiction ? Comment est-on arrivé à des pratiques telles que la liberté surveillée, qui ne sont prévues par aucune de nos lois ? C’est une histoire singulière, et bien qu’elle commence à être connue, elle mérite d’être racontée encore une fois.

Pour en trouver l’origine, il faut remonter à une dizaine d’années, traverser l’Océan et s’en aller dans l’Illinois jusqu’à cette ville étonnante de Chicago, qui offre le prodige d’une civilisation intellectuelle et morale, développée avec le même élan que la croissance matérielle. Avant 1899, la situation de l’enfant, au regard de la loi pénale, y était fixée par la règle la plus rudimentaire et la plus fausse. Avait-il moins de dix ans ? Il ne comptait pas ; il était libre de vagabonder, mendier, voler ; il pouvait à loisir faire son apprentissage de malfaiteur. Avait-il plus de dix ans ? Il devenait du coup pareil au majeur, c’est-à-dire qu’il était arrêté, poursuivi, condamné, enfermé avec les adultes. La démoralisation inouïe de l’enfance, suite nécessaire