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avec le Monténégro ; les soldats ont acquis plus d’esprit militaire, et les politiques plus de sagesse ; les diplomates ont été à la hauteur des plus habiles. Enfin, et surtout, la Serbie a incarné un principe, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ; le progrès des démocraties rapproche chaque jour l’heure où ce principe aura enfin, dans le droit public européen, une expression juridique et où, de révolutionnaire qu’il paraît encore, il deviendra un élément de conservation et d’ordre. La Serbie, malgré les apparences, a obtenu ce qu’elle voulait : elle a posé, au bon moment et dans les termes les plus avantageux pour elle, la question de la nationalité serbe : la solution regarde l’avenir.


Un article, qui n’est lui-même qu’une conclusion, ne comporte pas, à proprement parler, de conclusions : elles ressortent d’elles-mêmes de tout ce que nous avons tenté d’expliquer. Il en est une pourtant, plus générale et plus incertaine aussi, qui, si l’on va au fond des choses, se dessine, d’une façon encore imprécise, derrière la trame des événemens. Des frissons de guerre ont couru, à certains momens, sur l’Europe ; et pourtant, l’impression que l’on garde de cette mêlée diplomatique, c’est qu’aucun gouvernement n’a, si l’on nous permet l’expression, marché à fond. Est-ce parce qu’il a manqué un Bismarck ? Sans doute. Mais le génie des Bismarck est fait de leur divination des passions obscures qui bouillonnent sourdement dans l’âme des peuples. Bismarck a fondé la grandeur prussienne sur l’idée allemande d’unité. Pour quelle grande cause oserait-on actuellement jeter les nations européennes à la bataille ? Pour la royauté commerciale de l’Angleterre ou la suprématie militaire de l’Allemagne ? À ces terribles ruées des peuples les uns contre les autres, il faut un puissant support d’idéologie : on ne l’aperçoit pas aujourd’hui. L’Europe souffre de la gestation douloureuse d’un état social nouveau, et c’est, au moment de déchaîner la tempête des batailles, la conscience plus ou moins claire de ce travail interne qui arrête le bras des rois. Le monde slave, toutefois, et le monde oriental font exception : là, le principe des nationalités, issu de la Révolution française, n’a pas encore opéré tous ses effets. C’est pourquoi la question du slavisme et celle de l’avenir de l’Empire ottoman sont les inquiétudes de demain


RENE PINON.