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le rapport de Grégoire, on décida, sans discussion, « que toutes les académies et sociétés littéraires, patentées ou dotées par la nation, seraient supprimées. » Quatre jours après, on apposait les scellés sur les salles du Louvre où se tenaient les réunions académiques. C’était la fin.

De la polémique soulevée par cette suppression, il n’est guère resté que le discours de Chamfort, publié par l’auteur sous son nom après la mort de Mirabeau, et la réponse de Morellet à ce discours. Le premier de ces deux ouvrages est intéressant par lui-même ; mais il nous est surtout une occasion d’aborder l’homme qui l’a écrit. On verra qu’il n’est peut-être pas inutile d’étudier la place qu’a tenue ce curieux personnage dans la littérature et la politique de son temps.


I

Chamfort est l’un des hommes de la Révolution sur lesquels on a le plus de peine à s’entendre. Les discussions à propos de lui ont commencé presque au lendemain de sa mort. Quelques mois après le 9 thermidor, un journaliste refusait de le mettre parmi les victimes de la Terreur dont on célébrait pieusement le souvenir, sous prétexte qu’il était lui-même un terroriste : il ne convenait donc pas de le plaindre d’avoir subi le sort dont il menaçait les autres. À ces attaques Rœderer répondit dans le Journal de Paris (18 mars 1795) par un article spirituel et sensé qui n’était pas une apologie sans réserve[1]. Tout en disculpant Chamfort de la plupart des reproches qu’on lui adressait, il avouait les faiblesses de son caractère. Ce n’était pas, disait-il, un esprit sage, ni même en politique un esprit éclairé. Il avait juré la guerre aux abus et aux vices de l’ancien régime ; mais « il croyait nécessaire de la faire à outrance, sans précaution comme sans mesure : voilà son erreur. »

La réponse de Rœderer n’a pas mis fin au débat. S’il dure encore, c’est peut-être que nous manquons, pour juger Chamfort, de renseignemens décisifs. Il est à remarquer que dans ses ouvrages, qui sont peu nombreux, il ne parle presque jamais de lui-même. Il n’a pas laissé de mémoires. Nous n’avons de lui

  1. Article inséré par Auguis dans son édition des Œuvres de Chamfort, V, p. 339 et suivantes.