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accordée, attendrissement, réconciliation. Mais voici que les années ont passé ; les enfans ont grandi ; les obstacles se multiplient. Ils rompent, elle se sacrifiant à la famille, lui au bonheur de l’autre. Il vieillira dans le culte du souvenir, cette lampe mortuaire des vivans.

A l’Amie perdue est presque tout entier d’une admirable beauté sentimentale. La première phase du roman d’amour a pour caractéristique le sonnet suivant :


Nos yeux seuls ont été les muets interprètes
Du sentiment caché qui croissait dans nos cœurs.
Les tiens m’ont révélé tes tristesses secrètes ;
J’ai su tes longs combats en devinant leurs pleurs,

Et compris ta tendresse aux clartés inquiètes
Dont se troublaient parfois leurs rêveuses douceurs ;
Et les miens t’ont redit les incertaines fêtes
Dont mon âme était ivre en voyant tes pâleurs.

Maintenant un amour grandissant se déroule
Entre nous, sans avoir d’autre langage qu’eux.
Quand nous nous rencontrons au milieu de la foule,

Nos regards, se croisant, échangent des aveux,
Comme à travers l’espace et par-dessus la houle,
Des phares éloignés se parlent par leurs feux.


Réfléchissant sur ce langage des yeux et sur ce qu’il a non seulement de charmant (Musset : « Avec deux yeux bavards parfois j’aime à jaser ») mais d’infiniment profond, le poète spiritualiste rêve ainsi qu’il suit :


Les caresses des yeux sont les plus adorables ;
Elles apportent l’âme aux limites de l’être ;
Et livrent des secrets autrement ineffables,
Dans lesquels seul le fond du cœur peut apparaître.

Les baisers les plus purs sont grossiers auprès d’elles ;
Leur langage est plus fort que toutes les paroles ;
Rien n’exprime que lui les choses immortelles
Qui passent par instans dans nos êtres frivoles.

Lorsque l’âge a vieilli la bouche et le sourire,
Dont le pli lentement s’est comblé de tristesse,
Elles gardent encor leur limpide tendresse.

Faites pour consoler, enivrer et séduire,
Elles ont les douceurs, les ardeurs et les charmes.
Et quelle autre caresse a traversé des larmes ?