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Quoique très blessé, je crus que je devais d’abord atténuer l’effet d’une démarche que je ne pouvais plus empêcher. Je dis à Gramont d’un ton navré : « On va vous accuser d’avoir prémédité la guerre et de n’avoir vu dans l’incident Hohenzollern qu’un prétexte de la provoquer. N’accentuez pas votre première dépêche comme vous le prescrit l’Empereur, atténuez-la. Benedetti aura déjà accompli sa mission lorsque cette atténuation lui parviendra, mais dans la Chambre vous y trouverez un argument pour établir vos intentions pacifiques. » Alors, je m’assis devant un bureau, et j’écrivis les deux paragraphes suivans : « Afin que nous soyons sûrs que le fils ne désavouera pas le père et qu’il n’arrivera pas en Espagne, comme son frère l’a fait en Roumanie, il est indispensable que le Roi veuille bien nous dire qu’il ne permettra pas au prince de revenir sur la renonciation communiquée par le prince Antoine. Dites bien au Roi que nous n’avons aucune arrière-pensée, que nous ne cherchons pas un prétexte de guerre, et que nous ne demandons qu’à sortir honorablement d’une difficulté que nous n’avons pas créée nous-mêmes[1]. »

La différence entre ce texte et le premier était considérable. C’était une transformation plus qu’une atténuation : indépendamment de l’assurance pacifique qui ne se trouvait pas dans le premier, il contenait un amoindrissement de la demande de garanties ; la dépêche de sept heures réclamait une garantie générale en vue de toutes les éventualités de l’avenir, mon texte limitait cette garantie au présent et n’avait en vue que le cas où Léopold ne ratifierait pas la renonciation actuelle faite par son père. Le champ de la discussion se restreignait ainsi singulièrement.

Ces lignes écrites, je me levai, et comme je n’avais pas

  1. Voici le texte intégral : « L’Empereur me charge de vous faire remarquer que nous ne saurions considérer la renonciation que nous a communiquée l’ambassadeur d’Espagne et qui ne nous est pas adressée directement, comme une réponse suffisante aux justes demandes adressées par nous au roi de Prusse ; encore moins saurions-nous y voir une garantie pour l’avenir. Afin que nous soyons sûrs que le fils ne désavouera pas son père ou qu’il n’arrivera pas en Espagne comme son frère l’a fait en Roumanie, il est indispensable que le Roi veuille bien nous dire qu’il ne permettra pas au prince de revenir sur la renonciation communiquée par le prince Antoine. — M. de Bismarck arrivant à Ems, veuillez y rester jusqu’à ce que vous soyez appelé à Paris. Dites bien enfin au comte de Bismarck et au Roi que nous n’avons aucune arrière-pensée, que nous ne cherchons pas un prétexte de guerre, et que nous ne demandons qu’à sortir honorablement d’une difficulté que nous n’avons pas créée nous-mêmes. »