Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 51.djvu/782

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rue de la Tombe-Issoire ; — les pèlerins passent ensuite au Puy, et l’on voit dans l’un des poèmes que Guillaume s’arrête en ce lieu pour faire ses dévotions à Notre-Dame du Puy ; — les pèlerins passaient à Brioude ; or, la collégiale de Saint-Julien de Brioude attirait beaucoup de monde, et dans l’une des chansons du cycle, le Charroi de Nîmes, Guillaume va honorer le saint, tandis que dans d’autres on voit que Brioude possède des reliques de Guillaume, anecdotes qui, faut-il l’ajouter ? n’ont rien d’historique ; — les pèlerins passaient à Nîmes, et saint Guillaume était honoré dans cette ville par une fête assez solennelle ; — les pèlerins passaient près d’Arles, ils allaient visiter la nécropole gallo-romaine des Aliscamps, le Campo Santo de la Provence, et les chansons de geste ont transformé ce cimetière en champ de bataille où périt le héros Vivien, en champ de sépulture où sont ensevelis, non loin des saints très vénérés dans le pays, Honorat et Trophime, quelques-uns des morts de Roncevaux. Toute la route[1]est pour ainsi dire jalonnée de souvenirs héroïques et pieux : les chansons du cycle de Guillaume semblent cheminer avec les pèlerins.

Ainsi s’explique la diversité des régions où nous mènent les chansons de Guillaume ; ainsi s’explique le mélange constant du langage, des poètes du Nord avec des survivances méridionales. On se demandait d’où venaient des noms comme « Naimeri » et « Vivian » de forme provençale ; on se demandait pourquoi les paysages sont si fréquemment parsemés d’oliviers et pourquoi la formule descriptive ainsi constituée est si habituelle que les poètes l’appliquaient à toutes les régions, même à Laon, même à Paris ; on, se demandait pourquoi le souvenir de Guillaume se retrouvait tantôt à Brioude, tantôt à Orange, tantôt à Martres-Tolosane,

  1. L’un des plus curieux exemples cités par M. Bédier est celui de Martres-Tolosane, bourg de l’arrondissement de Muret, qui se trouve sur la voie romaine suivant la vallée de la Garonne et menant de Toulouse vers les ports des Pyrénées-Orientales. M. Antoine Thomas a raconté dans une remarquable étude comment cette bourgade célébrait encore, en 1885, la fête de son patron saint Vidian. Les jeunes gens figuraient un tournoi entre Sarrasins et chevaliers, et une procession solennelle avait lieu en l’honneur du protecteur de la cité : or, la légende de saint Vidian n’est autre que celle du Vivien des chansons de geste. D’après les textes, on peut croire que, déjà au XIIe siècle, l’église de Martres-Tolosane gardait le corps de saint Vidian. « Il me semble probable, dit M. Bédier, que le Vivien épique 0a commencé d’être honoré à Martres dans le même temps où d’autres sanctuaires se mirent à vénérer d’anciens héros narbonnais. » Et la vieille fête de Martres-Tolosane serait un souvenir des légendes répandues au temps où les pèlerins passaient par la ville.