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comment, heureuse ou malheureuse, s’accomplit cette destinée, œuvre fatale de nos passions.

Donnadieu continua de mener son existence de « Donne au diable, » sa vie d’extravagance, voire d’insanités. A Saint-Jean-de-Luz pourtant, cette irréductible cervelle avait semblé réduite ; sa superbe s’était humiliée devant Napoléon, empereur ; il avait crié grâce et supplié ; « Sire, je fus malheureux !… L’existence pour moi serait une prolongation d’agonie, si les généreuses vertus de votre grand cœur ne s’étendent sur ma tête… Je réclame votre munificence, et j’en suis digne… Ah ! si vous pouviez lire au fond de mon âme ! Mais privé de ce bonheur, je me jette à vos pieds pour implorer deux fois la vie. » En termes moins pompeux, il demandait qu’on lui rendît son grade, et qu’on payât ses dettes. L’Empereur et Roi se laissa fléchir ; il restitua l’épaulette, solda les créanciers, puis envoya au loin le dragon repentant sabrer le Napolitain, le Prussien, le Russe, l’Autrichien, l’Espagnol et l’Anglais ; en fit un colonel, un général, même un baron de l’Empire. Au reste, c’était justice, car Donnadieu, le risque-tout, avait brillamment guerroyé. Il eut cependant à subir quelques nouveaux ennuis. Des éplucheurs de comptes découvrirent qu’étant colonel, monsieur le baron avait opéré divers emprunts forcés dans la caisse de son régiment. Napoléon n’aimait pas ce genre d’espièglerie : le prévaricateur fut derechef mis en réforme…

Au retour des Bourbons, la victime de l’Ogre de Corse reçut de nombreux témoignages de la faveur royale : vicomte, cordon rouge, plaque fleurdelisée de la Légion d’honneur, écharpe de lieutenant général. Sa vie, dès lors, appartient à l’histoire, et à la plus mauvaise, de la Restauration. On en connaît les actes de frénésie… Commandant à Grenoble, Donnadieu massacre, féroce et forcené, de naïfs paysans dauphinois, même des gamins de quinze ans, coupables d’avoir crié : « Vive Napoléon II ! » — le fils de l’Homme, de l’homme de Sainte-Hélène… Élu député par les admirateurs des Trestaillons, l’enfant du tonnelier nîmois va siéger à la Chambre, à côté de ces gentilshommes, fauteurs de Terreur blanche, et qui furent les Couthon, les Barère, les Saint-Just des fleurs de lis ensanglantées… Vicomte et commandeur de Saint-Louis, l’assommeur de grisette assaille à poings fermés, en pleine rue, un vieillard, un ministre, le duc de Richelieu, qu’il a jugé trop libéral. Il est devenu l’homme de