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entièrement à leurs vues, et je sollicitai d’être mis au fait de la conjuration. On me fit, alors, prêter un serment solennel ; je n’hésitai pas, car je voulais être à même de pénétrer dans les secrets. Les conjurés me dirent qu’il fallait assassiner le Premier Consul, dans le temps où il passait une revue au Carrousel. On me donna rendez-vous le 24 prairial, pour régler les derniers détails de l’exécution… » Agent provocateur ? Non, certes ; mais ce finaud se calomniait[1]

La supplique fut mise à la poste ; un Corvisart du quartier Maubert, esculape à 2 francs la visite, pansa de nouveau le blessé, puis le révélateur attendit la Fortune.

Elle apparut enfin.

Deux jours plus tard, un inspecteur de la Préfecture montait dans le galetas, et s’asseyait, affable, au chevet de l’indicateur… « Suivez-moi ! Une voiture est à votre porte : le préfet va recevoir lui-même votre déclaration… » Lui-même ? Le conseiller d’Etat, citoyen Dubois ! Ainsi, pas d’intermédiaire ; de chef, sous-chef, secrétaire de chef, ou autre paperassier ! Antonio s’habilla prestement : ce diable d’homme avait l’âme chevillée dans le corps… Ce jour-là, dans l’hôtel du quai des Orfèvres, huissiers et garçons de bureau durent se regarder, ébahis : M. le conseiller d’Etat daignait recevoir, en personne, un loqueteux à bottes éculées !


Dans le cabinet préfectoral était assis un fonctionnaire de superbe tournure : grand ; taille élancée ; visage sans nageoires ni moustaches ; menton avançant ; lèvres charnues ; nez aquilin ; yeux futés sous d’épais sourcils ; front large et fuyant, caché par la coiffure ; cheveux noirs, fournis, ramenés en coup de vent ; air d’importance et d’infatuation…

Agé de quarante-quatre ans, — le bel âge pour un bon préfet, — Jacques-Nicolas Dubois était, dans l’existence privée, un fort aimable compagnon, très peu collet monté, aucunement janséniste ; commettant la peccadille mignonne, voire le gros péché ;

  1. Suit le récit de la tentative d’assassinat et de la ruse imaginée par Péretti pour ne pas être achevé par le spadassin. Le signalement de l’homme vêtu de gris et qui simule l’ivresse se trouve dans une déclaration subséquente.
    La ruelle des Fossoyeurs se nomme à présent rue Servandoni. Elle était, en 1802, peu construite et presque partout bordée par des murs de jardins ou par d’anciens couvens… On sait qu’en 1793 Condorcet, mis hors la loi, y trouva un asile, dans la pension bourgeoise de la citoyenne Vernet.