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du « Roi ; » les autres recevaient l’ardente et directe poussée de Monsieur, frère du Roi. Mais ils ne s’entendaient pas sur la façon de restaurer la fleur de lys. Le Roi prétendait conquérir la France, en payant d’un bon prix les détenteurs de son royaume ; Monsieur, plus économe, eût préféré le moyen moins coûteux du poignard ou de la machine infernale. A Mittau, chez Louis XVIII, l’amour des tripotages ; à Londres, dans l’entourage du Comte d’Artois, du goût pour l’assassinat…

La mieux rentée de ces agences avait longtemps été conduite par un ecclésiastique, l’abbé Ratel, dit « Le Moine. » C’était un homme d’église, expert théologien, sans doute, mais qui menait la vie d’un mécréant, disant fort peu la messe et pratiquant très mal l’observance de la chasteté : ces sortes de francs démons se rencontrent. Une demoiselle Julienne Derlang, sa belle amie, le secondait dans ses opérations ; jolie personne, au dire de la chronique, facile, galante, voire gaillarde, et que ses connaisseurs appelaient indiscrètement « Belle-Peau. » Avec un tel surnom, le secrétaire de l’abbé procurait à son Roi de nombreux partisans ; l’agence prospérait ; l’argent affluait à la cause. En outre, de forts subsides, aux frais de l’Angleterre, entretenaient le ménage sacerdotal, et soldait ses menées. Un jour, pourtant, il avait fallu déguerpir. Tracassé par la police, Ratel s’était enfui, abandonnant maints papiers d’importance, n’oubliant pas toutefois la bien-aimée Belle-Peau. Lamentable scandale ; désolation de l’abomination ! Mais un nouveau conspirateur, non moins prêtre et non moins malin, l’abbé Leclerc, dit « Boisvallon, » avait recueilli l’héritage et rouvert l’officine anglaise. Il était venu se blottir rue du Pot-de-Fer, dans un pieux quartier, sous l’ombre de l’ancien séminaire Saint-Sulpice et de l’ex-noviciat des Jésuites : ce fut en cette retraite que l’émissaire de Charles Flint lui apporta des instructions[1].

Le mystère dont la police française entourait l’affaire Donnadieu intriguait vivement les royalistes de Londres. Commentés

  1. Le Superintendant of Aliens, Charles W. Flint, créé plus tard baronet et devenu sir Charles, se trouvait en 1802 sous les ordres du secrétaire d’État, lord Pelham. Ce fut donc, en réalité, le gouvernement anglais qui dépêcha sournoisement à Paris Fauche-Borel, âme damnée de Pichegru, et fauteur de tant de complots. N’est-il pas curieux de constater qu’en pleine Paix d’Amiens, et tout en prodiguant au Premier Consul de nombreux témoignages d’amitié, le ministère du pacifique Addington agissait de la même façon que le cabinet du belliqueux William Pitt ?… England for ever !