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prophétie. » Mais de semblables épîtres, attestant des rancœurs jacobines, étaient rares et sans importance : la République croulait sous la poussée du peuple qui l’avait édifiée.

Alors, les journaux officieux et les gazettes de tolérance commencèrent à publier des adresses. Dans les cent deux départemens, d’Anvers à Bayonne, de Brest à Genève, conseils généraux et d’arrondissement, conseils municipaux, tribunaux d’appel, de première instance et de commerce, chambres d’avoués et de notaires, d’huissiers et de commissaires-priseurs, tout ce qui pérore, tout ce qui juge, tout ce qui chicane, tout ce qui émarge, se mirent à supplier Bonaparte d’accepter le cadeau du Consulat à vie. La Nation le déposait à ses pieds. N’était-il pas le bienfaisant Alcide de qui la massue généreuse venait de terrasser l’hydre de l’anarchie ; le nouvel Alexandre dont l’invincible main avait tressé pour la patrie les palmes du Liban ; le Solon législateur, flambeau déversant la lumière sur les peuples éblouis ?… Rhétorique et pathos, boursouflures dans la platitude, rien ne manquait à cette grandiloquence. Et cependant, naguère la Constituante, la Législative, la Convention, le Directoire avaient entendu les mêmes dithyrambes ; Louis XVIII, Louis-Philippe, Napoléon III les entendirent aussi, et peut-être en un jour prochain, quelque faiseur de coup d’Etat les entendra encore… O France, terre pourtant du scepticisme, peuple toujours ricanant, pourquoi donc, à certaines heures de ton histoire, ressens-tu un pareil besoin de servilisme, pis encore, de valetage ?


II. — LE BON LOUIS

Les précautions qu’affectait de prendre Bonaparte n’étaient pas cependant une simple comédie. Il redoutait un attentat ; « des poignards, au dire de sa police, voltigeaient en l’air, » et prudemment, le Consul se tenait sur ses gardes. En ce moment, les affiliés aux sociétés secrètes se remuaient, et parmi eux les compagnons de la Patience.

Pourtant, leur entreprise d’assassinat paraissait désorganisée[1]. Nicolas, le mystérieux fournisseur de subsides, avait quitté Paris ; agent royaliste résidant à Londres, il espaçait ses courtes visites, n’apportant guère à ses amis que belles paroles et

  1. Voyez la Revue du 1er mai 1908.